
Dans sa démarche créative, l’artiste doit-il s’interroger sur son empreinte écologique ? A cette question, à laquelle on ne pense pas forcément, Valérie Belmokhtar, artiste elle-même, répond résolument par l’affirmative.
Selon elle, le temps n’est plus où l’artiste pouvait s’affranchir de considérations de ce genre. Comme tout un chacun, il est confronté aux conséquences de notre impéritie et doit maintenant adopter une pratique soucieuse de maintenir le vivant, même si elle lui paraît entraver sa liberté :
« C’est dans la nature de l’artiste de vouloir créer librement. Mais dans un monde qui s’écroule, cette liberté doit être remise en cause pour l’intérêt collectif et la survie même du vivant. »

Dans cette optique, même le land art a ses limites, pour preuve des œuvres des années 1960 ou 70 ayant nécessité des modifications du paysage sans souci de préserver l’intégrité du vivant. Ce vivant, il importe de s’y reconnecter en ne plaçant plus l’homme mais la nature au centre de notre vision du monde. Les artistes dits « primitifs » l’ont fait avant nous et ils ont aussi su, n’ayant d’ailleurs pas le choix, utiliser les matériaux à leur disposition. De même, les artistes occidentaux devraient être soucieux d’inscrire leur art dans une économie de proximité, créant ainsi du lien social, en veillant à user de ce qu’ils trouvent comme matériaux non polluants à leur portée, voire en recyclant ce qui peut l’être : l’exemple des œuvres élaborées à partir de déchets, transfigurés par le geste artistique, s’avère à ce titre emblématique. L’art se décline de ce fait dans une version plus modeste et davantage à la portée de tous ceux qui souhaitent s’exprimer par son biais, sans qu’ils aient besoin d’avoir fait une école d’art pour se lancer et d’un endroit autre que leur propre domicile pour s’adonner à leur passion.
D’ailleurs, il convient de ne pas limiter la définition d’œuvre d’art en la circonscrivant dans un périmètre restreint excluant l’artisanat. Autrefois, art et artisanat n’étaient pas distincts, il suffit de penser aux poteries offertes à nos regards dans les musées. L’œuvre pouvait s’inscrire dans un contexte utilitaire sans qu’on y trouve à redire. De nos jours, certains artistes ont à cœur de redonner vie à des artisanats traditionnels, en maintenant des savoir-faire qui pourraient se perdre, la broderie par exemple.
Enfin, l’artiste peut contribuer à réenchanter notre monde, en nous proposant une vision utopique et désirable de ce que notre futur pourrait être, au lieu d’images dystopiques peu motivantes. Le goût du public pour les cabanes et autres lieux de vie devenus des maisons-œuvres, grâce au talent de leurs concepteurs, prouve notre besoin de rêver un environnement où le poétique pourrait s’exprimer.

Pour asseoir son propos, dont je ne vous ai donné ici qu’un aperçu, Valérie Belmokhtar l’ancre à chaque fois dans sa dimension historique, en rappelant les artistes précurseurs dans les divers champs concernés. Dans le domaine contemporain, elle présente un vaste panorama d’artistes dont la démarche correspond à ce qu’elle veut mettre en avant, en donnant une large place aux femmes.
« L’artiste et le vivant » m’a beaucoup intéressée. Les problématiques évoquées, ainsi que les solutions préconisées par l’auteure, sont exposées de façon claire et convaincante. Écologiques et politiques au sens large du terme, elles invitent à s’interroger sur la place de l’artiste dans la nature en général et dans la cité en particulier. L’ouvrage, richement illustré, a aussi permis à la néophyte que je suis en la matière d’avoir un bel échantillon de la création artistique contemporaine.

Extraits :
P 136 :
Dans leur façon de produire, les artistes non occidentaux font preuve d’inventivité et de bon sens quand ils sont situés dans des zones où ils n’ont presque rien à disposition pour créer. Cette frugalité, cette économie de moyens est un bel exemple pour nous, artistes et créateurs occidentaux, dans la crise climatique et sanitaire que nous traversons. Ce que l’on a longtemps considéré comme une forme de pauvreté dans des arts dits « primitifs » pourrait bien être en réalité un bon socle de réflexion pour penser l’art du XXIème siècle.
Les arts non occidentaux ont bien des leçons à nous transmettre sur le vivant, le respect de la nature, le geste artistique, sur l’humain, qui n’est pas supérieur à son environnement. L’art occidental doit repenser sa production et sa diffusion, le lien entre l’art et la planète, et certainement aussi sa vision du monde.
P 173 :
Utiliser des matériaux que l’on récupère chez soi pour créer est assurément un acte écologique qui pourrait bien devenir une nouvelle norme. Certains considéreront que c’est une goutte d’eau, mais si de nombreux artistes le font, on sait que cela peut devenir un mode de vie, bien plus en phase avec l’époque de l’Anthropocène dans laquelle nous sommes déjà entrés.
Avons- nous même le choix ? C’est certainement difficile à admettre et à envisager pour beaucoup de créateurs, cela leur demande de repenser l’usage des matériaux. Mais ceux-ci sont assurément en train de devenir précieux, et même rares dans certains cas.
P 179 :
On peut recréer un monde artistique davantage axé sur le local et les autres, autour de chez soi. L’art et les artistes ont un véritable rôle à jouer dans le développement d’une écologie locale.
On en finirait donc avec l’artiste isolé du monde, le maudit, l’ermite et le mythe du génie supérieur aux autres qui l’accompagne. L’artiste écologiste s’intègre à ce qui l’entoure, tout en conservant un jardin secret et des moments de solitude indispensables à sa création s’il le souhaite. C’est en effet complémentaire et certainement pas antinomique. Il s’agit de décentrer le point de vue.
P 198 :
Certes, la dystopie a le mérite d’alerter et elle est nécessaire en tant qu’expression culturelle, mais ces visions cauchemardesques ne nous permettent pas d’imaginer un futur vivable. Rien de bien réjouissant pour se projeter ou passer à l’action !
Il existe pourtant aussi un art positif, qui ne vire pas au cauchemar, mais il n’a pas été spécialement rendu visible dans l’art récent. Or, sa visibilité permettrait de rétablir un certain équilibre et de nous mettre un peu de baume au cœur face aux défis immenses qui nous attendent. On sait que les images négatives peuvent paralyser et décourager. Nous sommes déjà en quelque sorte plongés dans le dystopie aujourd’hui. Elle est devenue le quotidien pour un certain nombre d’habitants de la planète. Les images dystopiques abondent déjà dans le réel et dans les médias.
Pourquoi ne pas davantage exposer d’œuvres positives, sensibles et poétiques, qui nous permettraient de renouer avec l’espoir et nous donneraient l’énergie d’avancer ? Ne serait-ce pas aussi le rôle de l’art ?
p 208 :
Pour visualiser le monde de demain, l’artiste a un rôle lié à l’utopie et au poétique : la cabane, la ville végétale, la vie dans les bois, l’enchantement du rapport au monde, le décentrage, le respect, le soin, la réparation et l’empathie. Cela n’a rien de naïf, c’est un univers avec lequel il nous faut renouer pour retrouver nos liens avec le vivant.

« L’artiste et le vivant », Valérie BELMOKHTAR
éditions Pyramyd (256 p)
paru en octobre 2022
souple – format 17 x 24 – 28 €
Ouh! l! C’est bien trop loin de ma planète ce livre, même s’il semble intéressant!
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Une réflexion plus que nécessaire ; on ne voit pas pourquoi le monde de l’art resterait à l’écart. Je serais curieuse de voir quels sont les artistes contemporains mentionnés dans ce livre.
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Merci pour ce retour. Très intéressant ce propos sur le positionnement de l’artiste et l’influence sur sa pratique.
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Une problématique intéressante.
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