« L’enragé », Sorj CHALANDON

Présentation de l’éditeur (qui s’avère être celle de l’auteur) :
«  En 1977, alors que je travaillais à Libération, j’ai lu que le Centre d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer allait être fermé. Ce mot désignait en fait une colonie pénitentiaire pour mineurs. Entre ses hauts murs, où avaient d’abord été détenus des Communards, ont été «  rééduqués  » à partir de 1880 les petits voyous des villes, les brigands des campagnes mais aussi des cancres turbulents, des gamins abandonnés et des orphelins. Les plus jeunes avaient 12 ans.
  Le soir du 27 août 1934, cinquante-six gamins se sont révoltés et ont fait le mur. Tandis que les fuyards étaient cernés par la mer, les gendarmes offraient une pièce de vingt francs pour chaque enfant capturé. Alors, les braves gens se sont mis en chasse et ont traqué les fugitifs dans les villages, sur les plages, dans les grottes. Tous ont été capturés. Tous  ? Non : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manquait à l’appel.
  Je me suis glissé dans sa peau et c’est son histoire que je raconte. Celle d’un enfant battu qui me ressemble. La métamorphose d’un fauve né sans amour, d’un enragé, obligé de desserrer les poings pour saisir les mains tendues.  » S.C.

J’étais tentée par ce dernier roman de Sorj Chalandon (« Retour à Killibegs » restera une lecture marquante, j’avais beaucoup aimé « Le Jour d’avant », pas adhéré à « Profession du père » ) et le thème m’intéressait. De ce côté-là, rien à redire car l’auteur a suffisamment étudié la question et sa peinture de la colonie pénitentiaire de Belle-Ile en bénéficie : le lecteur peut donc visualiser, de manière très détaillée (pour ne pas dire appuyée) les choses telles qu’elles étaient… c’est-à-dire guère reluisantes.
Le traitement du sujet, en revanche, m’a laissée dubitative. Chalandon a créé le personnage de Jules Bonneau, dix-huit ans, surnommé « la Teigne », le fameux « enragé » du titre. Sa particularité est en effet de céder ponctuellement, au moins de manière fantasmatique, à des accès de rage qui l’amènent à (vouloir) attaquer/détruire tout ce(ux) qui l’entoure(nt).
J’ai eu d’autant plus de mal à adhérer à cette représentation symbolique (mais pas que) de ce qu’une victime du système pouvait refouler que c’est ladite victime qui s’exprime dans le livre. Or son langage, tel que l’auteur a choisi de le retranscrire, ne m’a pas paru au diapason de son niveau d’instruction. Le style est beaucoup trop « écrit », pas naturel (« « La Teigne », c’est mon matricule et ma rage. Mon champ d’honneur »), ce qui ne m’a pas permis de me projeter dans le texte : je me suis d’emblée trouvée à côté et cet écart ne s’est pas comblé par la suite.
Il faut dire que Chalandon n’y va pas avec le dos de la cuillère : « L’enragé », c’est à la fois « Les Misérables » et « Les travailleurs de la mer » (en beaucoup moins long, soit) , avec une volonté manifeste d’inscrire la condition des « colons » de Belle-Ile au sein des diverses problématiques socio-politiques de leur temps et en n’évitant ni la grandiloquence ni le lyrisme. Mais n’est pas Hugo qui veut et, ici, je n’ai ressenti ni la force du propos ni l’authenticité du parcours de Jules, juste l’impression que l’auteur en faisait trop.

« L’enragé » dénonce un système que la presse, en la personne d’Alexis Danan qui mena campagne en ce sens, fustigea en son temps. Prévert quant à lui (que l’auteur se plaît à faire apparaître in situ dans le roman …) condamna dans son poème la fameuse « Chasse à l’enfant » de Belle-Ile. Si j’ai apprécié son aspect documentaire, le roman en lui-même m’a semblé manquer de sobriété et ne m’a guère convaincue.

« L’enragé », Sorj CHALANDON
éditions Grasset (416 p)
paru en août 2023

12 commentaires sur “« L’enragé », Sorj CHALANDON

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  1. Le seul livre que j’ai lu de Sorj Chalandon (le jour d’avant) ne m’a pas convaincue non plus, un peu pour les mêmes raisons qu’ici. Manque de sobriété et de crédibilité dans l’histoire fictionnelle. Je n’ai pas eu envie de refaire une tentative.

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    1. Je me suis lassée de cette grandiloquence de l’auteur depuis Le quatrième mur … Chalandon en fait des tonnes … Mais il y avait quand même des pages super intéressantes sur son expérience de journaliste de guerre. Malgré le sujet historique de ce titre, je passe sans aucun regrets aucun.

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  2. J’ai beaucoup aimé Mon traître et je lorgne sur ses livres à chaque sortie, mais je ne saute jamais le pas. C’est intéressant ce que tu dis, c’est vrai que parfois le romancier s’oublie et tombe dans le documentaire qu’il se contente de saupoudrer d’une fiction pas convaincante. Kim Jiyoung m’a fait cet effet.

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  3. Pas tentée au vu de ce que tu en dis, malgré le sujet ultra intéressant. J’avais aimé plusieurs romans de lui dont Le quatrième mur, Une promesse, et Une joie féroce.

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