« Paradox Hotel », Rob HART

2072
A cinq minutes de tramway du chronoport interséculaire Einstein, qui leur permettra d’effectuer le voyage dans le temps dont ils ont rêvé, la riche clientèle de ce nouveau mode de loisirs prend son mal en patience au Paradox Hotel.
Car aujourd’hui, rien ne tourne rond. Les départs prévus, pour l’Egypte ancienne, la bataille de Gettysburg, le jurassique ou la Renaissance, ne cessent d’être retardés et l’horloge du hall affiche des heures balbutiantes… Il se passe quelque chose et tout le personnel de l’hôtel est à cran.
January Cole, en particulier. Elle est chef de la sécurité de l’hôtel depuis qu’elle n’a plus été jugée apte à faire partie des agents se déplaçant dans le temps. January est en effet au stade 2 d’une affection résultant de ce type d’activités, le Décollement. Conséquence : elle est, par moments, victime de légères dérives dans le temps, basculant d’une réalité à l’autre, des séquences du passé venant croiser et bousculer son présent. Or, « 
Ces dérives sont difficiles à distinguer de la réalité, et il est facile de s’y perdre. »
Aujourd’hui, donc, c’est pire et la prise de son médicament, le Retronim, n’y change rien : January s’avère la seule à voir, dans une chambre de l’hôtel, le cadavre d’un homme qu’elle a aperçu plus tôt dans le hall.
Et c’est précisément le jour, alors qu’une forte tempête de neige est annoncée, où vont arriver les quatre acheteurs potentiels de l’hôtel et du chronoport, que le gouvernement a décidé de privatiser car ils fonctionnent à perte. Cerise sur le gâteau : trois bébés dinosaures se promènent dans les couloirs !

Bienvenue au Paradox Hotel… mais pas dans les meilleures conditions ! Là où tout ne devrait qu’être luxe et calme, la bonne marche des affaires se dérègle. Résultat : des clients excédés et une chef de la sécurité sur les dents.
Rob Hart, dont j’avais beaucoup aimé « MotherCloud », aborde la thématique du voyage dans le temps, une de mes préférées, de manière originale, non pas frontalement mais latéralement : il ne nous emmène pas faire un tour dans le passé mais se penche sur les effets que ce type de déplacements peut avoir, sur le psychisme des individus (en l’occurence, January fait figure de cas d’école), voire, comme s’il y avait un phénomène de remous créés par de trop nombreux petits cailloux jetés dans le flux temporel, sur l’environnement autour du point de départ de ces voyages, le chronoport. Car si jusque là les voyages dans le temps, dûment contrôlés de telle sorte que le passé ne soit en rien modifié par eux pour ne pas affecter le présent, ont laissé celui-ci intact, il semble qu’il n’en soit plus de même.

Figure centrale du roman, January, femme énergique et efficace, suscite notre sympathie malgré son attitude pour le moins revêche, envers aussi bien Ruby, le petit drone assistant personnel qui voltige à ses côtés qu’à l’égard des autres membres de l’équipe faisant tourner l’hôtel. Car son comportement irascible n’est qu’une carapace. January souffre, dissimule le fait qu’elle est en train d’atteindre le stade 3 du Décollement et risque d’y laisser sa santé mentale, tout plutôt que de devoir quitter l’hôtel où ses dérives lui permettent de croiser celle qu’elle aima, Mena.

Cette douloureuse histoire d’amour se mêle à un présent devenu soudain plein d’incertitudes. January veut empêcher un meurtre qu’elle est la seule à voir arriver et, de ce fait, s’intéresse de près aux repreneurs de l’hôtel, dont les motivations peuvent sembler sujettes à caution. Le lecteur, comme ses collègues, même si elle use leur patience jusqu’à la corde, s’inquiète pour notre héroïne borderline. Les incidents se multiplient, l’ambiance générale devient de plus en plus tendue mais January ne lâche rien, acharnée à démêler les fils de complexes jeux de pouvoirs pour protéger ceux qui l’entourent…
J’ai dévoré ce roman, dont seule la petite résonance ésotérique m’a un peu gênée, bémol qui n’entache en rien le plaisir que j’ai eu à le lire.

« Paradox Hotel », huis-clos prenant et rythmé, centré sur un personnage féminin blessé et à fleur de peau, piégé comme les autres dans un hôtel où la réalité devient mouvante, illustre avec talent la manière dont la science-fiction, source d’émerveillement, peut questionner nos repères tout en s’avérant profondément humaine.

« Paradox Hotel », Rob HART
titre original The Paradox Hotel (2022)
traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Laurent Bury
éditions Belfond (400 p)
paru en février 2023

7 commentaires sur “« Paradox Hotel », Rob HART

Ajouter un commentaire

    1. Pour être (un peu) plus précise, il s’agit d’un aspect de la religion bouddhiste, dans lequel un des personnages pense que leur parcours s’inscrit …

      J’aime

  1. Rebonjour Brize, moi aussi j’avais aimé Mother Cloud qui a paru en poche sous le titre de L’entrepôt. J’ai noté ce nouveau titre dont l’histoire m’a l’air assez différent du précédent. Bonne journée.

    Aimé par 1 personne

Un commentaire ? N'hésitez pas !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑