Rwanda, années 70
Au lycée Notre-Dame du Nil, isolé et perché à 2500 mètres près de la source du Nil, de jeunes Rwandaises ont la chance de bénéficier d’une éducation qui leur permettra de devenir des femmes accomplies et surtout des épouses dont leurs familles sauront fièrement marchander la valeur. Elles sont souvent issues des milieux les plus favorisés, mais pas seulement. Parmi elles, il y a le quota imposé de 10% d’origine tutsie, déjà trop à en croire la vindicative Gloriosa, qui a épousé les thèses politiques de son père visant à poursuivre la « révolution sociale »…
Scholastique Mukasonga est un auteur rwandais dont j’ignorais jusqu’au nom avant que Sandrine n’en propose une lecture commune dans le cadre de son projet Lire le monde. Peu de temps après, je l’ai entendue sur France Culture (ce qui m’a permis de découvrir qu’il s’agissait d’une femme).
Si j’ai été un peu déconcertée par le fait qu’on n’« entre » pas dans la tête des différentes protagonistes, cela ne m’a pas gênée plus que cela car elles se définissent suffisamment par ce qu’elles font. A cet égard, le glissement progressif du comportement de Gloriosa à l’égard des tutsis, d’une attitude hostile vers des actions de plus en plus engagées pour, au final, rejoindre la violence pure, est significatif et terrible car emblématique de ce qui s’est joué au niveau de tout un pays.
L’évocation de la vie au lycée de Notre-Dame du Nil, avec son quotidien (un aperçu de la rentrée, des cours dont le contenu fait parfois sourire etc.) et ses temps forts (comme la visite annoncée de Fabiola, reine de Belgique, dont la préparation met l’établissement sens dessus dessous) permet à Scholastique Mukasonga de donner beaucoup à voir au sujet du Rwanda. Et pourtant ce n’est pas un pays facile à appréhender, comme d’ailleurs l’ensemble du continent africain. Tradition et modernité se heurtent en feignant de se compléter, ainsi les filles portent-elles toutes deux prénoms, un occidental et un africain. Faire d’elles des femmes modernes, tel est le projet affiché, mais bien avant cela il y cette volonté clairement affirmée de les rendre, c’est le qualificatif employé et il est révélateur d’un état d’esprit, « civilisées ». Pas question par exemple pour les jeunes filles de continuer à dormir à plusieurs dans le même lit comme elles peuvent habituellement le faire chez elles.
La complexe question tutsie est abordée par l’intermédiaire de Veronica et Virginia, quota tutsi de la classe de terminale, auxquelles un Blanc pour le moins original se met en tête de révéler les origines de leur peuple. Le roman fournit des éléments qui, sans être suffisants pour tout comprendre du conflit hutus/tutsis, représentent déjà des pistes d’explication et de réflexion éclairantes et incitant à s’informer davantage à ce sujet.
Dépaysant car il nous plonge au cœur du continent africain avec ses croyances ancestrales et instructif à plus d’un titre (vous y apprendrez ainsi quelle est la meilleure manière de cuire les bananes pour qu’elles soient les plus savoureuses), mais aussi sans concession et remarquablement écrit, « Notre-Dame du Nil » mérite amplement votre lecture (et le Prix Renaudot qu’il a obtenu en 2012).
Extrait :
Il pleuvait sur le lycée Notre-Dame-du-Nil. Depuis combien de jours, de semaines ? on ne comptait plus. Comme au premier ou au dernier jour du monde, montagnes et nuages n’étaient plus qu’un seul chaos grondant. La pluie ruisselait sur le visage de Notre-Dame du Nil, délavant son masque de négritude. La présumée source du Nil avait submergé la margelle du bassin en un torrent fougueux. Les passants sur la piste (au Rwanda, il y a toujours des passants sur la piste, on ne saura jamais où ils vont ni d’où ils viennent), ils s’abritaient sous de grandes feuilles de bananier qu’une mince pellicule d’eau changeait en miroir vert.
La pluie pendant de longs mois, c’est la Souveraine du Rwanda, bien plus que le roi d’autrefois ou le président d’aujourd’hui, la Pluie, c’est celle qu’on attend, qu’on implore, celle qui décidera de la disette ou de l’abondance, qui sera le bon présage d’un mariage fécond, la première pluie au bout de la saison sèche qui fait danser les enfants qui tendent leurs visages vers le ciel pour accueillir les grosses gouttes tant désirées, la pluie impudique qui met à nu, sous leur pagne mouillé, les formes indécises des toutes jeunes filles, la Maîtresse violente, vétilleuse, capricieuse, celle qui crépite sur tous les toits de tôle, ceux cachés sous la bananeraie comme ceux des quartiers bourbeux de la capitale, celle qui a jeté son filet sur le lac, a effacé la démesure des volcans, qui règne sur les immenses forêts du Congo, qui sont les entrailles de l’Afrique, la Pluie, la Pluie sans fin, jusqu’à l’océan qui l’engendre.
« Notre-Dame du Nil », Scholastique MUKASONGA
Editions Gallimard – collection Continents Noirs (223 p)
Paru en 2012
Lecture commune (dans le cadre du projet « Lire le monde ») à laquelle ont participé : Sandrine et Mimi avec Inyenzi ou les Cafards ; a girl from earth Hélène et Lydie avec Notre-Dame du Nil .
Contente que la découverte te plaise. Pour ma part j’ai lu « Inyenzi et les cafards » qui est un texte autobiographique : Scholastique Mukasonga a elle-même fréquenté un tel lycée et fait partie du quota tutsi. J’ai moi aussi beaucoup appris sur la triste histoire de ce pays.
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Je m’étais justement interrogée sur le parcours de l’auteur et j’avais lu une interview d’elle mais comme elle n’y évoquait pas son passage dans un lycée de ce genre, je n’ai pas cherché davantage.
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Il est sur ma LAL depuis que j’ai lu « La femme aux pieds nus » en hommage à sa mère. Elle témoigne d’une histoire terrible, mais dans une langue extrêmement belle et fluide. Je l’ai rencontrée samedi dernier pour son dernier livre « le cœur tambour ». J’ai été assez déconcertée, peut-être parce que pour la première fois, elle s’éloigne de sa propre histoire.
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Je l’ai entendue sur France Culture, là aussi dans le cadre de cette actualité littéraire la concernant.
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Plusieurs blogs parlent aujourdhui6de cette auteure que je n’ai pas lue , par manque de courage ‘0, je le reconnais.
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Il n’y a que la toute fin du roman qui est difficile, si ça peut te rassurer.
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Un roman que j’avais beaucoup apprécié et qui m’avait ouvert une fenêtre sur un monde inconnu 🙂
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Nous partageons le même ressenti, Yueyin !
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J’avais beaucoup apprécié ce roman et j’avais découvert l’auteure avec ce titre. A Saint Malo, au festival, elle l’a présenté comme clôturant sa trilogie sur le Rwanda (« Le cafards » et « La femme aux pieds nus »).
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Une trilogie vers laquelle je reviendrai sûrement, mais pas dans l’immédiat.
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J’ai aussi choisi celui ci et j’ai beaucoup aimé !
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C’était intéressant de pouvoir comparer nos avis !
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N’étant particulièrement attirée par le continent africain, je ne l’étais pas non plus par cette auteur. Mais à lire vos billets, il se pourrait bien que je saute le pas !
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Et tu aurais bien raison.
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Je suis passée à côté de ce livre.
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Ce sont des choses qui arrivent 🙂 .
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Aaaah la meilleure manière de cuire les bananes ! Passage mémorable ! J’ai beaucoup aimé ce roman. Très très belle découverte d’un auteur dont je lirai certainement d’autres livres.
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Une découverte que j’ai moi aussi beaucoup appréciée.
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Comme je le disais chez Hélène, il est dans ma PAL depuis des lustres.
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Ah ! mais il faut l’en sortir 🙂 !
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Lu et aimé mais pas de billet sur mon blog à son sujet car je n’arrivais à évoquer l’émotion ressentie à cette lecture. J’avais peur de passer à côté des choses essentielles ressenties dans ce roman.
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Ce n’est pas toujours facile de rendre compte de nos lectures, je te comprends (et bienvenue « Sur mes brizées » 🙂 ).
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On voit également la passivité des européens peuplant le lycée qu’ils soient professeurs ou soeurs. Pour moi, c’est l’histoire d’un pays ramené au sein de ce pensionnat et je trouve ça vraiment génial.
Et c’est vrai que les quelques anecdotes sont excellentes !
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Oui, le microcosme du lycée reflète le pays (hélas …).
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J’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup aimé ce roman. En plus, la couverture de l’édition brochée était très belle.
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Je crois qu’ on est nombreuses à avoir été touchées par ce roman.
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Si j’avais su j’aurais participé !! J’ai lu Inyenzi il y a qq jours à peine ! Livre très marquant qui me donne envie de découvrir celui-ci.
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C’est un sujet que je connais très mal, et un roman qui me tente !
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Le roman n’éclaire pas suffisamment le sujet (quand, comme toi et moi, on le connaît mal), complexe, mais c’est une bonne approche.
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J’ai beaucoup aimé ce roman et j’hésite encore à lire son nouveau.
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