« FUTU.RE », Dmitry GLUKHOVSKY

Présentation de l’éditeur :
Dans un avenir pas si lointain… l’humanité a su manipuler son génome pour stopper le processus de vieillissement et jouir ainsi d’une forme d’immortalité.
L’Europe, devenue une gigapole hérissée de gratte-ciel où s’entasse l’ensemble de la population, fait figure d’utopie car la vie y est sacrée et la politique de contrôle démographique raisonnée.
La loi du Choix prône que tout couple qui souhaite avoir un enfant doit déclarer la grossesse à l’État et désigner le parent qui devra accepter l’injection d’un accélérateur métabolique qui provoquera son décès à plus ou moins brève échéance.
Une mort pour une vie, c’est le prix de l’État providence européen.
Matricule 717 est un membre de la Phalange qui débusque les contrevenants. Il vit dans un cube miteux de deux mètres d’arête et se contente du boulot de bras droit d’un commandant de groupe d’intervention. Un jour, pourtant, le destin semble lui sourire quand un sénateur lui propose un travail en sous-main : éliminer un activiste du parti de la Vie, farouche opposant à la loi du Choix et au parti de l’Immortalité, qui menace de briser un statu quo séculaire.

Paru (dans sa traduction française) en 2015, « FUTU.RE », de Dmitry Glukhovsky, est un titre que j’avais repéré mais sans oser m’y frotter car les critiques lues ne manquaient pas d’en souligner la noirceur (et je trouvais son nombre de pages rédhibitoire). Le Challenge Pavé de l’été a été l’occasion de le sortir de ma PAL numérique (surnom : « la Discrète »), où je l’avais quand même engrangé il y a trois ans à l’occasion d’une belle promotion sur son prix.

A ma grande surprise, je n’ai eu aucun mal à m’y plonger et, même si j’ai trouvé que, par moments, l’auteur aurait pu faire un peu plus court (je pense notamment à certains états d’âme du narrateur, à mon sens trop longuement exposés), « FUTU.RE » est un pavé nerveux et musclé qui se lit sans difficulté. Le mérite en revient au narrateur, justement, dont on ne connaîtra d’abord que le numéro, 717, mais il a bien un prénom (Jan) et un nom.
C’est par son entremise que nous découvrons son environnement dantesque et, pour nous, littéralement inimaginable : des tours « de plusieurs kilomètres de hauteur dont la circonférence dépasse souvent un kilomètre », aux sous-sols desquels subsistent les vestiges de monuments d’autrefois, parcourues par une noria de passerelles et de « tubes de transport suspendus à une centaine d’étages au-dessus du sol » où se presse une foule qu’il supporte très difficilement.

Les descriptions de cette terre surpeuplée où la concentration de la population a conduit à des architectures prodigieuses dont quelques unes se démarquent par leur aspect merveilleux (les jardins d’Escher, par exemple) sont saisissantes. Les seuls paysages pouvant être offerts aux regards sont factices, reprenant sur des écrans aux proportions géantes des vues de la planète d’avant. Évidemment, certains privilégiés échappent au sort commun en bénéficiant d’habitats spécifiques, véritables îlots protégés de la populace et sertis dans des décors de rêve.
Eux n’ont aucun problème pour accéder aux ressources dont la gestion est de plus en plus problématique : l’espace dont chacun peut disposer (« On doit s’estimer heureux si on dispose de huit mètres cubes ! »), l’eau, la nourriture, l’électricité. Car l’Europe, qui abrite cent vingt milliards six cent deux millions quatre-vingt-un mille habitants, est plus que saturée. L’ensemble du monde aussi, d’ailleurs :
« Au début du XXIème siècle, la population de cette planète comptait sept milliards d’individus, et vers la fin quarante milliards. Par la suite, elle a doublé tous les trente ans jusqu’à ce que le prix d’une vie soit une autre vie. »
Seule la loi du Choix permet de maintenir un équilibre précaire entre besoins et ressources. Dans cette Europe où la jeunesse éternelle est considérée comme allant maintenant de soi, la vieillesse à laquelle se trouvent condamnés, en application de la loi du Choix, ceux qui n’ont pu résister à leur désir d’enfant, est considérée comme une tare répugnante dont la vue est insupportable.

717 alias Jan n’est pas neutre dans son récit. C’est un locuteur sarcastique dont le lecteur, grâce aux pans de son passé progressivement dévoilés, finit par comprendre l’amertume et les cauchemars. 717 fait en effet partie de ces enfants illicites retirés à la garde de leurs parents contrevenants, ceux qui ne déclarent pas la naissance pour qu’aucun des deux ne se voie privé de son éternelle jeunesse. Ces enfants, donc, sont envoyés dans des internats spécifiques : ils y sont dressés (« éduqués » n’est en effet pas le mot qui convient) pour venir grossir ensuite les rangs des « Immortels », ces phalanges de soldats aux visages dissimulés par un masque représentant l’Apollon de David et chargées de traquer ceux qui n’obéissent pas à la loi du Choix.
Les séquences relatives aux années passées par 717 (« Nous n’avons pas de nom ! Seul un matricule est autorisé à l’internat. Même les surnoms sont prohibés, et les contrevenants châtiés sans pitié. ») dans cet institut concentrationnaire sont toutes dures, voire très dures, mais, de même que pour les événements relatés dans le cadre du présent du narrateur, il n’y a jamais de violence gratuite et/ou complaisamment évoquée : tout s’intègre dans un contexte géopolitique précis, où la contrainte apparaît comme un des rouages essentiels du système.

717 est le produit de ce système, le lecteur en a conscience et, en apprenant à connaître ce qu’il a vécu dans son enfance, il a de cet individu a priori fort peu aimable, au sens propre du terme, une perception plus nuancée (du moins ce fut mon cas). S’ajoute à cela le fait que 717, confronté à une série d’événements, n’aura pas forcément les réactions qu’on attendait de lui.
Une fois convoqué par le sénateur Schreyer pour accomplir une mission censée lui garantir promotion et meilleures conditions de vie, avec un logement plus grand, 717 se retrouve en effet embarqué (et nous avec) dans une intrigue très bien agencée, où les enjeux politiques locaux et internationaux (dans le monde, tous ne sont pas logés à la même enseigne et des hordes de migrants se pressent aux portes de l’Europe) se mêlent à une quête et des révélations beaucoup plus personnels. Le récit est prenant et, dans ce monde de faux-semblants, il semble que chez Jan s’éveillent progressivement des sensations, amorces d’éventuelles émotions, auxquelles il n’était pas préparé…

« FUTU.RE », ironiquement sous-titré « Roman utopique », nous emporte dans un maelström de péripéties mêlant action et drame personnel sur fonds de jeux de pouvoirs, avec quelques belles surprises à la clé, au sein d’une humanité autocentrée que son immortalité semble, paradoxalement, avoir privée de vie : une réflexion coup de poing sur ce que nous pouvons/voulons attendre de nos existences, axée sur notre capacité à aimer et à nous projeter dans l’avenir.

« FUTU.RE », Dmitry GLUKHOVSKY
publié en 2013
traduit du russe par Denis E.Savine
éditions L’Atalante (paru en 2015 – 736 pages)
disponible au Livre de poche (960 pages)

Les avis de : Lorhkan, Lune, Le chien critique
La critique de Bifrost

13 commentaires sur “« FUTU.RE », Dmitry GLUKHOVSKY

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      1. Ah mais oui, c’est vrai ! Je suis allée relire ton avis (heureusement que je ne l’avais pas fait avant de me lancer, finalement 😉 ). Faut croire que c’était le bon moment pour moi car ça c’est bien passé !

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  1. Un mort pour une naissance, c’est plutôt radical comme contrôle de la population, mais vu le monde décrit, il fallait prendre le taureau par les cornes ! Pas trop envie de me lancer là-dedans.

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    1. Je suis allée lire ton billet mais, rien à faire, le thème « des » Métro (puisqu’il y a des suites), romans dont j’avais déjà entendu parler, ne m’attire décidément pas.
      Je pense que FUTU.RE a de bonnes chances de te plaire :).

      Aimé par 1 personne

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