« Ellipses », Audrey PLEYNET

Si je lisais autrefois, dans mes jeunes années de lectrice SF, beaucoup de nouvelles du genre (j’ai d’ailleurs conservé des volumes qui font maintenant figures de collectors en matière d’anthologies), j’ai depuis eu tendance à les délaisser au profit des romans et c’est dommage parce que, chaque fois que j’y reviens, je me rends compte que j’aime toujours autant ce format.
Les bonnes critiques dont il fait l’objet m’ont ainsi donné envie de lire le recueil autoédité d’une auteure française, Audrey Pleynet, et j’ai donc embarqué à la découverte des huit nouvelles qu’elle nous propose dans ses « Ellipses ».

Les reines de Cyanira (32 pages)
Sur la planète Cyanira, les reines héritent du pouvoir mais aussi d’un don, celui d’Ealdas, qui leur donne la faculté de l’exercer sans difficulté. Mais ce don, la jeune Shyrel n’en possède qu’une trace infime, tout juste est-elle capable de discerner ceux qui lui mentent. Comment, dans ces conditions, va-t-elle exercer les fonctions qui viennent de lui échoir à la mort de sa mère, alors que la planète Oaken continue à menacer ses intérêts ? Les talents qu’elle a cultivés jusque-là semblent bien dérisoires quand elle se sait incapable de contraindre quiconque par la seule force de son esprit …
Une nouvelle que j’ai aimée car elle nous propulse immédiatement aux côtés d’une jeune fille devant affronter une situation qui la dépasse. Les révélations vont s’enchaîner et nous offrir une image inattendue de la planète Cyanira, avec des contrecoups directs sur le destin de Shyrel. Prenant et surprenant !

Tu t’en souviendras ? (14 pages)
Dans un univers en ruine où elle a appris à survivre en exécutant les contrats qu’on lui donne et en se méfiant de tout le monde, elle a recueilli Vicky, une petite fille abandonnée. Pendant des années, elle s’est acharnée à lui apprendre une à une les règles qui la maintiendront en vie, lui répétant à chaque fois, « Tu t’en souviendras ? ». Mais elle n’avait pas tout prévu …
Elle, c’est la narratrice, qui raconte sur le mode personnel. Récit efficace mais j’ai eu du mal à y croire, même si tous les éléments sont donnés pour.

Les questions que l’on se pose (10 pages)
Plongée au cœur d’une Intelligence Artificielle à laquelle on ne cesse de poser des questions. Au début, l’objet des requêtes est commercial (« les personnes qui seraient susceptibles d’acheter les produits de la marque Nixma ») mais, progressivement, les demandes prennent une autre tournure …
Nouvelle habile imaginant, en poussant le curseur au maximum, les dérives liées aux possibilités que nous offrons en livrant de plus en plus de données personnelles aux serveurs informatiques. C’est bien fichu, un poil trop didactique à mon goût, le message derrière le propos est appuyé (pas assez elliptique).

Dolores (21 pages)
Dériver la douleur vers un autre cerveau, qui la ressentira à votre place et vous soulagera d’autant, c’est possible grâce à la puce Dolores. C’est pour des raisons directement liées à ce qu’elle a vécu que Christine l’a créée et se l’est implantée. Son objectif est de diminuer la souffrance des patients, mais Anne, son associée, voit dans la commercialisation de la puce une opportunité à saisir…
Comme dans « Les questions que l’on se pose », il s’agit de pousser le curseur au maximum pour exposer cette fois les dérives auxquelles une invention comme celle de la puce Dolores pourrait conduire. Nouvelle construite en crescendo, on a la sensation que l’étau se resserre inexorablement autour du personnage principal, Christine, qui a engendré quelque chose lui échappant totalement. Là aussi, j’ai eu un peu de mal à adhérer, l’impression que tout allait trop vite et trop facilement pour servir l’intérêt de l’histoire, sans garde-fous par rapport à ce qui pourrait se passer dans la réalité.

Icône (11 pages)
Arsène est photographe, un photographe qui voile les miroirs, refusant d’apercevoir son propre visage, tant il est laid. Sa petite amie, Roseline, n’est pas très belle non plus. Un jour, pourtant, elle rentre chez eux toute contente : son visage a changé, il ressemble à celui de Kimi, la célèbre chanteuse. Car il est maintenant possible, grâce à un procédé indolore, de modifier facilement les traits de son visage…
On pourrait s’attendre à une suite convenue, en mode dénonciation-du-diktat-de-la-beauté et ravages-de-l’uniformité, mais Audrey Pleynet s’amuse à faire déraper la spirale infernale qu’elle a mise en route avec un contrepied décalé et malin … mais que j’ai trouvé trop saugrenu pour croire à son histoire.

Les Alchimistes du Rêve (24 pages)
Sur une planète envahie par l’océan, la seule possibilité de construire repose sur les couples Alchimistes et Rêveurs-Veilleurs. Sous le contrôle de son Veilleur, le Rêveur a le pouvoir de remonter des blocs de pierre du fond des eaux puis de façonner des bâtiments venant étendre la superficie d’Urumqui, l’île-cité. Mais entre un Rêveur et un Veilleur, comme Kaiden et Raina, le lien ne doit pas être trop fort, pour ne faire courir aucun risque aux constructions entreprises…
Belle nouvelle où je me suis laissée embarquer (et tant pis pour le réalisme), portée par les rêves de Kaiden.

Tu étais pourtant si fier de moi (9 pages)
Elle prend son père à partie, son père qui l’a conçue dans les seuls lieux qu’elle ait connus, des laboratoires souterrains, son père qui était si fier d’elle et qui maintenant semble déçu et se tourne vers d’autres qu’elle …
Texte court et incisif, où le lecteur regroupe rapidement les éléments qui lui sont fournis pour appréhender la situation et ce qui se joue. Une variation bien menée sur un thème (que je ne peux pas nommer pour ne pas spoiler) classique mais abordé de façon originale. Percutant !

Citoyen + (13 pages)
Alain a adhéré au programme « Citoyen + » six mois plus tôt, en espérant en retirer des avantages matériels significatifs (la possibilité de bénéficier d’un nouveau logement, par exemple). Pour obtenir des points et débloquer ensuite des avantages, il suffit d’obéir aux injonctions de l’application à tous les moments de la journée, que ce soit pour manger ou vivre sainement, poster des photos ou commenter celles des autres, visionner une publicité ou aller voir un film grand public. Si tout est OK, un rond vert s’affiche sur le dos de sa main.
Alain joue le jeu, jusqu’au jour où il rencontre Clara, dont les centres d’intérêt n’ont rien à voir avec les courants mainstream. Hors de question de faire auprès d’elle état de sa condition de Citoyen +, au risque de la perdre. Mais il risque aussi de perdre de précieux avantages !

Citoyen + fustige les dérives du consumérisme de masse et s’amuse à stigmatiser une société qui cultiverait le besoin de reconnaissance au sein du groupe en prônant l’assimilation et la transparence, présentée comme allant de soi (« si vous n’avez rien à cacher, vous avez tout à gagner »). J’ai apprécié le fond critique et la forme, satirique, et j’ai marché … jusqu’au twist final qui m’a laissée dubitative (l’impression que l’auteur l’avait imaginé uniquement pour les besoins de la chute mais sans que ce soit crédible, enfin moi je n’y ai pas trop cru, j’ai trouvé que c’était trop facile).

« Ellipses » propose des nouvelles rythmées et qui, pour une partie d’entre elles, invitent le lecteur à porter un regard critique sur le monde qui l’entoure et les dérives ou dérapages possibles quand il est question de nouvelles technologies ou techniques. A plusieurs reprises, cependant, il m’a semblé que l’auteur forçait le trait, sans se préoccuper de vraisemblance, pour arriver à conclure sur une chute. Ce côté artificiel virant au procédé m’a gênée.
Tout compte fait, ce sont les deux nouvelles les plus déconnectées de nos problématiques actuelles, « Les reines de Cyanira » et « Les Alchimistes du Rêve », qui m’ont davantage séduite, en éveillant mon sense of wonder.

« Ellipses », Audrey PLEYNET
Autoédité – mars 2018 (156 p)

Les avis de : Apophis, Xapur , Yogo , Feydrautha

5 commentaires sur “« Ellipses », Audrey PLEYNET

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  1. bonsoir
    après lectures de nombreux avis sur ce recueil
    enfin quelqu’un en qui je me retrouve
    les nouvelles de l’auteur me font penser à d anciennes lectures datant du siècle dernier
    au niveau de leurs façonnages trop dénonciatrices directes
    j en aime néanmoins citoyen + et les alchimistes du reve (pas du tout reçu par nos celebres
    blogueurs)
    mais que d’autres jeunes auteur e s apparaissent à ce niveau et j’applaudirai
    jipaif

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  2. Nous n’avons pas les mêmes attentes. Les 2 nouvelles que tu cites sont celles que j’ai le moins aimé ! Et j’ai trouvé les autres, au contraire, très percutante et on ne peut plus juste.

    Merci pour ta première participation au projet.

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    1. Ah mais ce n’est pas une question d’attentes ! La critique au vitriol de notre société me va très bien … quand elle est faite avec finesse et pas de manière aussi démonstrative que dans ces nouvelles.

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