Tahnee Juguin n’avait pas 20 ans lorsqu’elle est partie pour la première fois à la découverte du peuple Mentawaï, dans l’île Sebarut de l’archipel indonésien. Elle y a fait depuis quelques longs séjours s’étalant sur plusieurs années. De son expérience sur place, elle a tiré le scénario de ce copieux album (160 pages) : on y voit l’arrivée de Tani, son « double fictif », son installation, ses rencontres et l’évolution de ses relations avec ceux qui l’accueillent. Son idée initiale de réalisation d’un documentaire finira par être reprise par les autochtones eux-mêmes, soucieux de s’approprier les moyens de maîtriser les images qui les représentent.
Les premières pages de l’album nous plongent directement au cœur d’une danse rituelle, dont on découvre soudain qu’elle est filmée par des touristes : les Mentawaï, on l’apprend ensuite, monnayent ce genre de prestations, habitués à commercialiser leur culture, en veillant cependant à ne pas y perdre leur intégrité. Le rapport des Mentawaï au monde moderne est en effet au cœur du livre, de même qu’il est au cœur de leur histoire. Car, sous le précédent régime, dictatorial, ils ont été chassés de leurs umas, maisons communautaires traditionnelles, on a coupé les cheveux des chamanes et obligé les enfants à fréquenter l’école, au lieu de rester auprès de leurs parents, à l’école de la vie via la forêt nourricière.
On suit Tani, en immersion comme elle dans un environnement dont elle ne connaît ni la langue ni tous les codes. Elle attrape des mots à la volée et se bâtit rapidement un petit lexique. Son guide-traducteur la laisse quelque temps seule, à vivre le quotidien de la famille qui l’accueille chaleureusement dans sa uma (un certain nombre ont été reconstruites), pendant que de son côté il participe au tournage d’un film documentaire. L’expérience sera déterminante car lorsqu’il s’avèrera que le montage ne respecte pas les faits, lui et ses proches décideront de s’impliquer directement dans une prochaine réalisation. Le thème s’impose à eux quand un membre de leur communauté, Aman Goddaï, doit être initié pour devenir un sikerei (chamane) : son parcours rituel fera un excellent scénario. Deux jeunes hommes sont alors recrutés dans la population pour être les cameramen, ainsi qu’une jeune femme comme camerawoman … et Tani devra batailler ferme pour qu’elle ne se retrouve pas cantonnée à la cuisine, la séparation des tâches entre les sexes étant très marquée chez les mentawaï.
Le récit s’intéresse donc à la naissance et au développement du projet, jusqu’à son aboutissement. Il n’oublie pas pour autant de rester, comme Tani, proche des gens et de leur mode de vie au quotidien, ainsi que de leurs préoccupations : la contraception, par exemple, l’implant que Tani porte dans le bras suscitant bien des commentaires, mais aussi l’éducation des enfants, le fait qu’ils doivent aller à l’école semblant à certains indispensables pour qu’ils ne soient pas perdus dans le monde actuel.
La préface de Teo Jartho, le guide de Tahnee Juguin, et la postface de celle-ci, en forme de making of, encadrent cet album au format généreux, en apportant au lecteur les précisions qu’il peut souhaiter quant à son élaboration. On y voit notamment le dessinateur Jean-Denis Pendanx (dont j’avais déjà salué le talent ici) accompagner Tahnee sur place pour s’imprégner des lieux et des ambiances, qu’il restitue à la perfection.
« Mentawaï ! », bande dessinée documentaire où l’intérêt de la découverte est soutenu par un graphisme de haute volée, s’avère une première approche intelligente et empathique d’un peuple soucieux de rester enraciné dans sa culture, quand bien même il se voit contraint de s’adapter au monde moderne dans lequel on l’a propulsé. Se faire connaître du grand public est pour lui un moyen de manifester sa volonté de pouvoir continuer à vivre au sein d’une forêt dont il n’ignore pas que, comme tant d’autres, elle est menacée.
« Mentawaï ! », Jean-Denis PENDANX et Tahnee JUGUIN
Editions Futuropolis (160 p)
Paru en septembre 2019
Le dessin est suffisamment beau, pour qu’à lui tout seul, il me donne envie de plonger dans les pages !
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Pendanx est une valeur sûre 🙂 !
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Merci pour la découverte, ça a l’air graphiquement somptueux et hyper intéressant en prime !
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Oui !
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Ca a l’air intéressant et les dessins font envie aussi!
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Une très belle BD documentaire !
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Oula, ça a l’air génial en effet ! J’adore les BD documentaires. Je note d’urgence, merci pour la découverte !
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J’aime bien les bd documentaires et celle-ci à l’air très belle.
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Le genre de dessin que j’aime, d’ailleurs il me semble avoir lu une BD où on trouve le travail du même illustrateur…
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Presque d’utilité publique cet album !
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Quelle belle découverte je fais là!
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J’aime beaucoup les BD documentaires alors forcément cet album me tente (vu le graphisme, en plus !).
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Cet album semble avoir tout pour me plaire!
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