« Etienne de Silhouette (1709 – 1767) – Le ministre banni de l’histoire de France », Thierry MAUGENEST

Avant de devenir un nom commun, silhouette fut le nom d’un homme qui occupa le poste de ministre des finances en 1759. Il entreprit de lancer des réformes qui visaient avant tout à soulager le peuple du poids intolérable des impôts pesant sur lui, en taxant ceux qui détenaient les biens. Malheureusement, l’opposition de la noblesse ne fut pas le seul obstacle qu’Etienne de Silhouette rencontra. La guerre en cours engloutissait en effet dans la foulée les recettes engrangées. Le ministre finit par être démis de ses fonctions, banni des affaires publiques et, à plus long terme, de la postérité.
L’ouvrage de Thierry Maugenest exhume ainsi une figure de notre histoire qu’il est dommage d’avoir occultée. Il nous rappelle au passage que la monarchie française, si elle avait été plus avisée en écoutant ce type de conseiller, aurait pu s’amender et se pérenniser, au lieu de foncer droit dans le mur. Il évoque aussi des éléments capitaux de toute la première partie du 18ème siècle : la mini-période glaciaire de 1709, année de naissance d’Etienne de Silhouette, et les nombreux hivers rigoureux qu’a connus sa génération, avec pour corollaires des récoltes compromises et la famine parmi le peuple ; la désastreuse guerre dite de sept ans, qui mena la France à la débâcle en ruinant ses prétentions aux conquêtes extérieures, tandis que l’Angleterre affirmait la puissance de son empire (en Amérique du Nord et en Inde en particulier).

Tous ces éléments enrichissent et éclairent cet essai biographique qui a le mérite, en quelques deux cents pages, d’aller à l’essentiel. L’auteur s’intéresse d’abord aux années d’apprentissage d’Etienne de Silhouette. On y découvre un jeune homme qu’on qualifierait maintenant de surdoué. Etudes classiques menées brillamment et tambour battant, complétées par le fameux « Grand Tour » européen. Celui-ci lui permet d’engranger des tonnes d’observations diverses, sur l’art, l’économie et la politique des pays visités, lesquelles feront l’objet d’une publication sous forme d’essai en quatre volumes. C’est aussi l’occasion pour le jeune homme de nouer des relations utiles pour sa carrière à venir.
Convaincu que le bien commun doit être le souci de tout gouvernement, Silhouette a rapidement idée de la manière dont il conviendrait de procéder pour rétablir en France la confiance que le peuple perd en son roi. Mais il sait aussi que, parce qu’il est issu de la petite noblesse, il doit se faire un nom s’il veut espérer un jour parvenir au pouvoir, pour y mettre ses idées en application. Ses écrits lui permettre de se distinguer comme lettré, apprécié des esprits de son temps et il n’hésite pas à faire parler de lui en suscitant la controverse.

Etienne de Silhouette aura cinquante ans lorsqu’il sera nommé ministre des finances. L’auteur survole rapidement (et c’est très bien car cela évite d’alourdir le propos, ce que n’aurait pas manqué de faire une biographie exhaustive) les fonctions qu’il occupe jusque-là. Il souligne cependant qu’il a passé de nombreuses années en Angleterre, dans une banque puis à l’ambassade. Ses rapports réguliers à Versailles, concernant en particulier les forces militaires sur place, sont très appréciés.
On regrettera, comme l’auteur, que Silhouette ne se soit jamais dévoilé personnellement, dans ses écrits ou dans des lettres. L’image qu’il donne, y compris dans sa jeunesse, est celle d’un personnage foncièrement droit mais qui paraissait fort austère. Il sera marié à une épouse de 14 ans plus jeune que lui, décédée à quarante-deux ans sans qu’ils aient eu d’enfants.

Evincé de son poste de ministre, Etienne de Silhouette sera ensuite l’objet d’une cabale qui mêlera dénigrement et art de tourner en ridicule, comme l’époque savait si bien le faire. De « l’habit à la silhouette », dépourvu de toute poche puisqu’on n’a plus d’argent à y mettre, à la silhouette tout court, le nom d’un homme est ainsi progressivement effacé de la mémoire collective. On ne peut que remercier Thierry Maugenest d’avoir voulu l’y réinscrire !

Quelques citations :

Des années d’études, de réflexions, de rencontres avec les grands penseurs de son temps lui ont permis de se forger une conviction qu’il a érigée en système philosophique. Le premier mérite de Silhouette est en effet d’avoir su synthétiser une pensée économique, morale et, dans une moindre mesure, religieuse – bien qu’il se défie d’une certaine frange du clergé obsédée par la richesse, il restera toujours animé d’une foi profonde. Un même combat contre le luxe, les injustices fiscales, les inégalités sociales devrait selon lui triompher de deux maux, le déclin économique de la France et la décadence morale, tout en refondant des valeurs d’estime et de respect mutuels entre la classe dirigeante et le peuple.

Tout au long de sa vie, par le biais de ses ouvrages puis, surtout, par son action politique, Silhouette n’a cessé de fustiger le luxe, l’oisiveté des rentiers et le cynisme des hauts financiers.

Son idéal, très différent des excès qui marqueront la Terreur, se rapproche de celui des révolutionnaires de l’été 1789, partisans pour la plupart d’une monarchie constitutionnelle, et qui souhaitaient en finir avec l’injustice, la famine, sans songer cependant à réclamer la tête du roi.

Plutôt que de se contenter d’écrire l’Histoire à leur avantage – ce qui est depuis toujours l’apanage des vainqueurs –, les ennemis de Silhouette ont préféré le chasser tout bonnement des mémoires. Bouter un opposant hors d’un palais, d’une cour, d’un pays, d’un continent même, cela s’est vu par le passé, mais de l’Histoire c’est peu courant.
Ainsi, plus de trois siècles après sa naissance, rares sont les auteurs qui se sont penchés sur le parcours de cet idéaliste qui se dressa seul face à la finance et à l’aristocratie, comme si la cabale dirigée contre lui restait d’actualité.

« Etienne de Silhouette (1709 -1767) – Le ministre banni de l’histoire de France », Thierry Maugenest
Editions La Découverte (224 p)
Paru en janvier 2018

5 commentaires sur “« Etienne de Silhouette (1709 – 1767) – Le ministre banni de l’histoire de France », Thierry MAUGENEST

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  1. J’en apprend déjà pas mal juste en lisant ta note. Elle me donne vraiment envie d’en savoir plus sur ce personnage. J’aime beaucoup l’idée de cette silhouette qui visiblement, permet de dévoiler une partie de notre histoire. Merci du conseil.

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