« Profanes », Jeanne BENAMEUR

ProfanesIls sont quatre, trois femmes et un homme qu’il a soigneusement choisis et auxquels est imparti un créneau horaire, pour l’accompagner au quotidien, voire l’assister quand le besoin s’en fera sentir. Car à 90 ans, Octave Lassalle, ancien chirurgien qui vit seul, sait que l’aide de son unique employée de maison ne lui suffit plus.
Chacun d’entre eux dispose d’une chambre dans la vaste demeure et d’une clé de celle-ci pour aller et venir à sa guise.
Et chacun arrive avec sa vie, celle qu’il a menée, avec les empreintes qu’elle lui a laissées et celle qu’il vit maintenant.
Quatre individus dont un trait commun est l’absence de foi.
Comme chez Octave, pourtant lecteur assidu de l’Ecclésiaste et de l’Evangile de Jean. Et qui a en outre un objectif particulier, en engageant un peintre parmi eux.

Mais ce qui va se jouer ici, ces échanges et ces liens créés, s’ils relèvent de l’intime, approcheront de ce qu’il y a de plus humain en chacun d’entre nous, qui est aussi une forme du sacré.

« Profanes » est un livre dans lequel je me suis immédiatement coulée, faisant la connaissance d’Octave et de ses quatre nouveaux compagnons de vie en même temps que je découvrais la demeure et son merveilleux jardin. Il n’y a pas de trame romanesque à proprement parler, il s’agit juste de rencontres et des évolutions qu’elles provoquent, avec des épisodes du passé qui remontent à la surface, des choses qu’il faut affronter pour mieux les dépasser ou, simplement, les accepter, pourtant j’ai été littéralement captivée par ce que je lisais.
Rarement, en effet, un texte est capable de toucher ainsi, par le biais d’histoires et de questionnements individuels, au cœur de l’humain. Et Jeanne Benameur y parvient à merveille, tissant entre le lecteur et ces personnages de fiction une toile chatoyante, car l’écriture est belle, de connivences et d’échos, puisqu’à travers eux c’est de nos vies qu’elle parle.

Extrait :

Sa main cherche le livre ouvert. Il relit la phrase de Jean.
« Il n’avait pas besoin qu’on témoignât sur l’homme, car il savait ce qu’il y a dans l’homme. »
Il pense. Moi j’ai cherché à savoir. Ce qu’il y a dans le corps de l’homme, on me l’a appris. Ça ne suffit pas pour faire tenir la vie, ça je l’ai appris moi-même, sans professeur. Les quatre qui ont accompagné ma journée aujourd’hui, depuis si longtemps que je ne touche plus le corps des hommes, des femmes, que je ne sauve plus personne, ces quatre-là, ce sont eux qui peuvent peut-être m’enseigner aujourd’hui.
Il n’y a pas de maître.
Pas de fils de dieu.
Pas de prophète.
Rien que des hommes et des femmes.
Des profanes.
Mais le sacré, le vif de la vie, il est bien au cœur même du profane et moi j’ai besoin d’y aller.
Le vieil homme caresse le livre lentement.
Ce n’est pas la vie parfaite qui peut m’enseigner. Je veux l’enseignement des vies imparfaites.
Le seul qui vaille.
Celui qu’on délivre sans le savoir.
Le Christ de la Bible était un sauveur, un maître et les quatre autour de lui apprenaient de lui. Moi je ne suis pas un sauveur. Si j’ai sauvé des vies c’est avec ce que d’autres hommes m’ont appris. Pas des religions, non. Avec des gestes, faits par les hommes et affinés par le temps. Juste parfois cette intuition extraordinaire qui fait le geste juste.
Les quatre que j’ai choisis sont des humains comme moi. Le frottement de nos vies les unes contre les autres, c’est à ça que je crois.

J'ai beaucoup aimé« Profanes », Jeanne BENAMEUR
Editions Actes Sud (274 p)
Paru en janvier 2013

Noukette a su trouver les mots qui m’ont incitée à aller vers ce roman (et vers cet auteur, que j’avais jusqu’à présent considérée comme n’étant pas pour moi).
Clara, Jostein, Un autre endroit, Krol, l’ont lu et aimé elles aussi.

22 commentaires sur “« Profanes », Jeanne BENAMEUR

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  1. J’ai été au Pic-nic de chez Tirloy vendredi midi, et c’est là que j’en ai entendu parlé. Il m’a donné envie. L’extrait que tu écrit semble être le coeur du livre et de « l’acte de foi » d’Octave. Est-ce que je me trompe ? En tout cas il est tentant.

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    1. J’avais repéré quelques passages et j’ai retenu celui-ci parce qu’il permet de comprendre le titre.
      C’est marrant qu’elles en aient justement parlé vendredi chez Tirloy (mais Jeanne Benameur est d’actualité puisqu’elle a été invitée à La Grande librairie, il faudra que j’aille regarder d’ailleurs) !
      En tout cas, je pense que ce roman te plairait.

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    1. Chère Noukette, j’ai bien repéré ton challenge, mais pour le moment j’en reste à « Profanes ». Ce roman, je le « sentais » bien ( grâce à ton billet), mais ce n’était pas le cas des précédents. Quelquefois, on rencontre un auteur dans un de ses livres, mais cela ne veut pas dire que tous nous correspondent.
      Cela dit, je peux changer d’avis… c’est le genre de romans où il faut se sentir réceptif (tu vois, pour « Profanes », je l’ai acheté et lu dans la foulée, parce que je savais que c’était là, maintenant, que je devais/voulais le lire).

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    1. Comme je le disais (juste au-dessus) à Noukette, c’est le premier roman de cet auteur dont je me suis dit qu’il pourrait me convenir. Et ça a marché.
      Donc tu as raison de vouloir tenter !

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  2. J’ai écouté Jeanne Benameur à La grande librairie, tous les invités et la thématique de l’émission étaient vraiment très bien. Je me réserve pour acheter ce bouquin parce que j’espère rencontrer l’auteur à Paris…

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    1. C’est particulier, donc c’est à toi de voir si tu te sens d’humeur pour embarquer dans ce type de roman (jusque là, les romans de l’auteur ne m’avaient pas tentée), il faut choisir son moment (et se fier à ses envies).

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    1. Ah, on sent l’enthousiasme 🙂 !
      Mais je te répondrais bien comme je l’ai fait à Noukette : j’en reste là pour l’instant car c’est le premier roman de l’auteur qui m’a attirée (j’avais entendu parler des autres sur les blogs).

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