« Un repas en hiver », Hubert MINGARELLI

Un repas en hiverIls sont trois, trois soldats allemands partis ce jour-là en mission parce qu’ils ont voulu échapper à la nouvelle fusillade prévue. Pour ne pas avoir à tuer, il leur faut endurer le froid insoutenable et la faim. Et capturer, aussi. C’est le prix à payer.
Il y a le narrateur, accompagné de Bauer et d’Emmerich, tellement préoccupé par l’idée que son fils se mette à fumer.
Ils trouvent un juif, la proie recherchée.
Puis se réfugient dans une maison abandonnée.
Et n’ont plus d’autre souci que de tâcher, avec le peu de moyens dont ils disposent, de faire un feu et de préparer un repas. Auquel un autre homme va bientôt vouloir se joindre …

On entre dans ce roman sans que nous en soit précisé le contexte et on ne le découvre qu’au fur et à mesure. En contrepoint, on appréhende d’une part ce qui motive cette « escapade » des trois hommes, à savoir la fusillade à laquelle ils ont voulu échapper et d’autre part, mais pas tout de suite, le fait qu’ils doivent en contrepartie ramener un ou plusieurs juifs.
J’ai apprécié la manière dont l’auteur distille ces informations (et j’aurais bien voulu ne rien vous dire… mais on ne peut pas, dans ce cas, parler du roman). Les trois protagonistes refusent d’être bourreaux mais assument la traque… pour alimenter d’autres tueries : ils ne s’attardent pas sur ce paradoxe, ce qui les intéresse c’est le « soulagement » qu’ils ressentent à l’idée de ne pas avoir à être acteurs de la fusillade.
Mais ce qui frappe avant tout et laisse bien en retrait les « états d’âmes » des soldats, c’est le FROID ! Auquel s’ajoute ensuite la faim. Dans tout le roman, il est bien davantage question de ces deux sensations, quotidiennes mais ici exacerbées (c’est pire que lorsque les soldats sont au campement), que de toute autre considération. C’est donc à la description méticuleuse, au sens matériel du terme, de cette journée des trois hommes, avec tous les faits et gestes nécessaires pour qu’ils parviennent à leurs fins, que nous assistons.
L’arrivée d’un quatrième homme, un Polonais dont l’aspect engageant change du tout au tout lorsqu’il se retrouve face au juif, viendra cependant ajouter matière à réflexion au récit, de même qu’un ultime dilemme.

Car cette histoire de faim et de froid, très (voire trop, à mon goût) axée sur l’aspect matériel, pose néanmoins question(s).
Trois soldats allemands sont en proie à un « malaise » parce qu’ils doivent continuer à participer à des exécutions de juifs. L’antisémitisme virulent d’un Polonais les choque.
Est-ce à dire qu’au milieu de l’horreur, il subsistait des frémissements de conscience ? Mais à quoi servaient-ils, puisque les trois soldats fuient les fusillades pour mieux les alimenter ensuite, en ramenant de nouvelles victimes ?
L’un de leurs camarades, Kropp, avait été plus loin :
« A la première tuerie, il avait dit : « Moi, je fais pas ça ! ». Il était sorti de la clairière où ça se passait, il était retourné près des camions et il avait dit : « Donnez-moi autre chose à faire. J’apporte à boire, j’apporte à manger, je lave les camions, je m’en fous, ce que vous voulez, mais ça, je le fais pas. »
Ce jour-là, tout le monde s’était sali, presque tous on avait souffert, sauf lui. Alors tout le monde l’accabla. Il en entendit ce jour-là, de la haine, du mépris, de toutes les couleurs. Certains l’auraient cogné. Ça avait failli. Graaf voulut le tuer. Il l’aurait fait. Mais le commandant vint. Kropp lui demanda : « Qui paiera pour ça ? ». Le commandant n’avait pas répondu mais, compréhensif, arrangeant, il l’envoya à la cuisine remplacer le vrai cuisinier qui avait la jaunisse. Kropp, lui, ça le sauva, et il resta cuisinier […]. »
Qu’en aurait-il été si une majorité de soldats s’étaient insurgés, comme Kropp, et avaient refusé de fusiller les juifs ? Mais combien avaient envie de le faire ? L’antisémitisme n’était-il pas alors susceptible d’aveugler les individus au point qu’ils obéissent sans réserve aux intolérables ordres reçus ?

On s’interroge et ce court récit, à peine un épisode dans la tourmente de la guerre, ne fournira pas de réponse. Il livre des faits et des sensations, à l’état brut. Tout juste s’il reste un peu de place aux trois hommes pour éprouver, aux marges de leur conscience, quelque chose …
A nous d’y penser. Et d’y repenser.

J'ai aimé un peu« Un repas en hiver » Hubert MINGARELLI
Editions Stock (137 p)
Paru en septembre 2012

Repéré chez Aifelle

12 commentaires sur “« Un repas en hiver », Hubert MINGARELLI

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    1. J’ai déserté la littérature française tout le temps qu’elle s’est attachée à l’autofiction. Heureusement, depuis quelque temps, elle a changé. En bien !

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  1. Je vines juste de le terminer et comme toi je l’avais repéré chez Aifelle. Pas un uppercut comme pour Aifelle mais j’ai beaucoup aimé. L’écriture resserrée de l’auteur, l’ambiance, ces hommes et ce huis-clos où chaque geste, chaque expression et chaque mot prennent une dimension presque grave dans ce contexte.

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    1. J’ai un peu hésité… mais pas trop, finalement. Parce que, sur la question de l’implication allemande dans le massacre des juifs, un livre comme « Le liseur », de Bernhard Schlink, m’avait beaucoup plus interpellée que ce récit.
      Je ne mets pas en cause la valeur intrinsèque du roman : l’attribution des parts reflète la « cote d’amour », en toute subjectivité.

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  2. Une seule (petite) part de tarte ? C’est pas lourd pour vaincre le froid de l’hiver !
    Je ne me souviens plus si moi aussi j’avais repéré ce titre -et cet auteur – chez Aiffelle, en tout cas, c’est sur l’un des blogs que je suis. Je l’ai trouvé en bouquinerie, il ne me reste plus qu’à m’y plonger.

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  3. On dirait que tu as été moins sensible que moi aux aspects non-dits du roman. Peut-être l’auteur a-t’il justement voulu nous laisser avec un maximum de questions sans réponse. Il va peut-être venir dans ma librairie, je pourrai alors t’en dire plus. Il est certain que beaucoup d’Allemands n’étaient pas gênés parce que l’on faisait aux juifs, à condition qu’ils ne le fassent pas eux-mêmes. As-tu lu « les disparus » ? L’auteur explique bien qu’au début, les soldats ne voulaient plus se charger de ce genre de besogne, qui les écoeurait et les déprimait en grand nombre. A partir de là, ils en ont chargé les Ukrainiens. Donc, il y a eu réaction par moment. Ne pas oublier non plus que ces soldats vivaient dans une certaine peur de la hiérarchie. Et puis, ce ne sont pas des gens qui ont l’habitude de réfléchir. Remarque, ceux qui ont conçu et programmé l’extermination étaient des intellos et ça n’a rien arrêté. Hé oui, ce sont des questions sans fin et qui restent assez impensables. Pourtant il faut bien se les poser. Ce matin, sur France-Culture, un intervenant dans l’émission « la fabrique de l’histoire », disait que les résistants étaient plus intéressants que les bourreaux. Les bourreaux dans la plupart des cas obéissent aux ordres. Mais qu’est-ce qui fait qu’un homme se dresse et dit NON ? Il lui faut beaucoup plus de courage, alors où le trouve-t’il ? Je m’arrête sinon je vais faire un roman.

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  4. Merci beaucoup d’avoir pris la peine de rédiger ce long commentaire, Aifelle. Je l’ai lu et relu avec intérêt et moi aussi j’aimerais savoir ce qui conduit quelqu’un à résister (peut-être parce qu’on se demande toujours si on aurait résisté, nous, parce qu’on aimerait être sûr qu’on l’aurait fait).
    Mais là où tu perçois des non-dits dans le roman, je vois des lacunes, un récit trop à la surface des choses…

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  5. si la réflexion de fond est très intéressante, la forme m’a gênée. Notamment le style qui colle très (trop?) à son narrateur, avec des phrases parfois à la limite de la faute de syntaxe ou de grammaire.

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  6. Je l’avais bien aimé ce livre, comme souvent (pas toujours) les romans de Mingarelli, surtout les plus anciens comme Hommes sans mère, ou Quatre soldats. Ce sont des petits îlots de pudeur, de silence, de simplicité.

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