« Guerrières ! A la rencontre du sexe fort », Moïra SAUVAGE

La violence des femmes ? On en parle moins souvent que des violences faites aux femmes (qui furent le précédent objet de recherche de Moïra Sauvage). Régulièrement, cependant, des faits divers la placent sous le feu des projecteurs et la presse conclut rapidement à une tendance lourde : la violence chez les femmes deviendrait de plus en plus manifeste, comme dans le reste de la société.
Moïra Sauvage n’est pas journaliste à se contenter de ce raccourci trop facile. Elle s’est donc lancée dans une vaste étude sur la question, à la fois réflexion théorique et enquête sur le terrain, menant ses investigations à l’échelle internationale. Elle en présente les résultats dans un essai au titre aussi engagé qu’engageant : « Guerrières ! A la rencontre du sexe fort ».

« Un tabou brisé ? », s’interroge-t-elle dans un premier chapitre passionnant où elle analyse en quoi consiste cette violence féminine dite nouvelle et comment elle choque parce qu’elle met en question le stéréotype persistant de la douceur féminine, produit d’une société patriarcale. J’y ai au passage découvert que la testostérone présentée comme explication de la violence masculine ne ferait pas l’unanimité chez les scientifiques. La violence s’acquerrait davantage de manière culturelle, le cortex cérébral étant façonné par notre environnement.
Moïra Sauvage prolonge cette analyse en évoquant ensuite les « guerrières oubliées par l’histoire ». Et si quelques noms célèbres émergent, la plupart du temps l’histoire, écrite par des hommes, a condamné les femmes qui se battaient à l’invisibilité. Car derrière la violence stricto sensu, c’est la force des femmes que décèle Moïra Sauvage et, chez le sexe dit faible, elle dérange.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, l’auteur part donc « A la rencontre des guerrières d’aujourd’hui ». En préambule, elle note leurs caractéristiques communes : un tempérament curieux et affirmé dès l’enfance, apprécié par les parents, allié à une capacité d’indignation que les choses vues ou vécues peuvent décupler. Elle dresse ensuite, en l’émaillant de très nombreux portraits, un état des lieux exhaustif et pertinent des différentes formes que la violence ou plus exactement la force conjuguée au féminin peut revêtir.
Cette force se manifeste tout d’abord dans les institutions la légitimant, à savoir la police ou l’armée, où les femmes ont fini par se faire une place et plus seulement dans les fonctions d’administration et de soutien. Elles sont aussi présentes dans les troupes illégales, guérilleras, terroristes ou membres de gangs. Enfin, elles sont de plus en plus visibles dans les sports dits « virils »
A chaque fois, l’auteur ne se borne pas à répertorier mais s’interroge sur les motivations des unes et des autres, pour mettre en perspective les trajectoires individuelles ou collectives au sein de différents pays et milieux, afin de mieux, globalement, questionner nos sociétés. Et elle nous donne régulièrement envie de faire plus ample connaissance avec certaines de ces femmes, dont nous découvrons grâce à elle l’existence et dont elle nous livre quelques propos, extraits de leurs interviews.
Pour finir, Moïra Sauvage franchit un dernier pas pour qualifier de « guerrières » toutes celles qui luttent et pas seulement les armes à la main, ainsi qu’elle avait déjà commencé à le faire dans le rappel historique de la première partie. Elle inclut donc dans son étude les femmes engagées dans les mouvements pour les droits des femmes ou, plus généralement, militant pour une société pacifique et juste.
Le terme « guerrières » appliqué ainsi à des femmes qui, à proprement parler, n’en sont pas, prête à discussion et l’auteur ne le cache pas, en présentant objectivement les arguments des unes et des autres. L’appellation a été récusée par certaines des interviewées, reconnue avec enthousiasme par d’autres. Pour ma part, j’opterais pour celle de « battantes », réservant le « guerrières » aux femmes qui le sont au sens littéral du terme (car, à ce compte-là, tout le monde est plus ou moins un guerrier du quotidien).

Dans cet essai j’ai, personnellement, préféré les interrogations de fond, d’ordre philosophique (sur la nature humaine et l’identité, avec l’individu sur le devant de la scène sans distinction homme/femme) de l’introduction et de la première partie, sur lesquelles l’auteur revient dans sa conclusion (dont la dernière ligne m’a bien amusée !). Elles m’ont rappelé les ouvrages d’Elisabeth Badinter, auxquels il est fait référence, en particulier « L’un est l’autre », paru il y a plus de 20 ans mais qui figure encore en bonne place dans ma bibliothèque tant son propos demeure pertinent. De fait, ni la violence ni la force ne sont l’apanage des seuls hommes, mais elles font partie du comportement humain.
Pour autant, la diversité des portraits présentés tout au long de « Guerrières ! » témoigne de manière frappante de l’évolution en la matière, en affichant la force des femmes telle qu’elle se déploie dans nos sociétés contemporaines. Une force qui, même quand elle apparaît parfaitement justifiée, inquiète (ceux qui en douteraient n’auront qu’à observer comment les femmes égyptiennes ayant participé à la révolution sont à nouveau exclues de l’espace public).
En traitant d’une question ô combien d’actualité, Moïra Sauvage a fait œuvre plus qu’utile, guerrière à sa façon, maniant efficacement et avec élégance la plume sinon l’épée.

« Guerrières ! A la rencontre du sexe fort », Moïra SAUVAGE
Editions Actes Sud (307 p)
Paru en mai 2012

15 commentaires sur “« Guerrières ! A la rencontre du sexe fort », Moïra SAUVAGE

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  1. Je suis en plein dedans et j’essaie de ne pas recroiser le sous-titre du bouquin car les termes « sexe faible », « sexe fort » m’horripilent…

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  2. Je vous remercie pour cet article flatteur et très approfondi! Si j’ai pu vous inviter par cet essai à découvrir comment ces femmes ont su exprimer la force que nous leur connaissons toutes, j’en suis heureuse….Merci de donner peut-être à vos lecteurs et lectrices l’envie de le lire!
    Bien à vous. Moïra Sauvage

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    1. Ravie de vous accueillir « Sur mes brizées », Moïra !
      J’ai apprécié que votre livre brosse, comme vous l’annoncez dans votre introduction, « le portrait d’un sexe féminin qu’on a trop souvent tendance à ne considérer que comme victime« , ce qui, personnellement, m’est pénible.
      Je vous souhaite (encore) de belles rencontres à l’occasion de la promotion de cet essai 🙂 .

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  3. Bonjour Brize, un plaisir de retrouver votre plume alerte et profonde sur un sujet si « fort » et si passionnant !
    avec mon bon souvenir et le souhait de se revoir bientôt
    Cécile Huguenin

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  4. Voilà un essai qui m’intéresse et qui doit faire un beau pied de nez au point de vue de Nancy Huston qui prétend que les femmes par nature ne sont pas violentes, contrairement aux hommes (ben tiens…).

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      1. Il y en a d’autres à m’avoir révoltée dans son dernier essai:
        – les femmes n’éprouveraient pas pour les hommes le même désir sexuel qu’eux éprouvent pour elles;
        – c’est normal que les hommes couchent à gauche à droite, c’est naturel, il faut arrêter de le nier. C’est d’ailleurs pour ça que les homosexuels papillonnent et ne restent pas en couple longtemps
        – d’ailleurs, l’homosexualité, c’est culturel
        – les femmes ont besoin de tendresse, pas de sexe, et c’est se leurrer que de croire le contraire.
        Etc. Etc. Etc.

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        1. OUPS !
          Bon, il faut que tu fasses un saut à Lille : je te prête mon exemplaire de « Guerrières ! » (si tu supportes le fait qu’il est souligné de partout + quelques commentaires dans les marges)… et je te raconte tout ce que tu veux savoir sur « La liste de mes envies » (dit celle-qui-a-la-flemme-de-faire-un-mail 😉 ) !

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          1. A programmer cet été alors (mais il faudra attendre une ou deux semaines avant d’organiser ça, parce que je passe une série d’entretiens ces deux semaines-ci, en espérant que ça débouchera sur quelque chose, mais du coup je ne sais pas du tout à quoi ressemblera mon mois de juillet ^_^).

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