Après la guerre

histoires_Olivia BillingtonVoici ma participation à un jeu d’écriture proposé par Olivia Billington. Il s’agissait d’écrire un texte en y intégrant les mots suivants :
apaiser – front – tranchée – décision – dilemme – torture – douleur – âme – divin – damnation – effroi – dresser – combattre – chagrin
Consigne facultative : mettre un flash-back dans le récit.

Deux ans. Deux ans que l’armistice a été signé mais rien en moi ne s’est apaisé. La douleur d’avoir perdu tant de camarades au front est toujours aussi forte. Mon âme est hantée de cauchemars. Je nous revois surgissant des tranchées, nous dressant pour combattre et je lis l’effroi dans nos regards alors que nous nous précipitons vers un ennemi sans doute aussi apeuré que nous. On me dit que c’est un miracle que j’aie survécu à cela. Peut-être. Mais dans le souvenir réside une torture sans fin, mon éternelle damnation. Libre à notre curé de pérorer autant qu’il veut, je ne vois plus aucune présence du divin dans le monde qui m’entoure.

Ainsi raisonnait Etienne, alors que s’était achevé un sermon auquel il n’avait guère prêté l’oreille, en ce jour de commémoration gonflé d’un patriotisme ronflant. A quoi servait d’honorer les morts ? Rien ne les ferait revenir. Le désespoir d’Etienne, que ses parents confondaient avec de l’abattement, rendait pénible la traversée d’un jour succédant à l’autre. Heureusement, la menuiserie avait repris son activité et lui avec. Travailler le bois occupait ses mains à défaut de son esprit. D’ailleurs, la manipulation de certains outils, dangereux, lui donnait parfois des idées… Mais prendre la décision d’en finir serait terrible pour ses parents, aussi n’y avait-il pas vraiment de dilemme : il resterait près d’eux.

Les voilà justement qui approchent, ils s’étaient éloignés pour discuter avec des amis. Tiens, ils ne sont pas seuls.
– Etienne, regarde qui est là !
A leurs côtés, une jeune fille élancée, au teint clair. Son front est ceint d’un bandeau de cheveux noirs. Deux yeux pervenche illuminent un visage qu’Etienne n’a aucun mal à reconnaître. C’est Clémence. Il l’a perdue de vue avant la guerre : elle s’était mariée à un militaire de l’école d’officiers toute proche, qui avait réussi à l’enlever à tous ses prétendants, dont Etienne. Clémence l’a suivi dans sa garnison d’affectation. L’officier est mort pendant la guerre et son épouse vient de décider de revenir, avec leur petite fille, auprès des siens. Son métier de couturière, elle peut l’exercer partout.
C’est ce qu’elle explique à Etienne. Mais Etienne n’est pas très attentif. Il a repéré, dans la coiffure de Clémence, une petite mèche rebelle et il n’a qu’une envie : tendre la main vers elle et la glisser délicatement derrière l’oreille de la jeune femme. Clémence lui sourit. Le soleil choisit ce moment pour darder un rayon hors de l’amas de nuages noirs qui encombrait le ciel. On dirait qu’il va y avoir une éclaircie.

21 commentaires sur “Après la guerre

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  1. J’aime la conclusion à double sens, et cette magnifique phrase : ‘Mais dans le souvenir réside une torture sans fin, mon éternelle damnation.’

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    1. J’ai bien failli faire mourir mon héros (suicide), mais j’ai opté pour une note finale un peu plus douce (pour ne pas dire rose bonbon 😉 ), histoire de changer des horreurs de la guerre.

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  2. Bienvenue dans le Club 14-18 😉
    Déjà 4 textes lus en parlent (je compte le mien !)
    J’adore ton histoire pas triste et j’ai déjà envisagé la suite dans ma tête. Etienne et Clémence couleront des jours heureux, désormais !
    Comme quoi, on peut être ou tout optimiste ou tout pessimiste 😆
    Bonne fin de semaine et bises de Lyon

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    1. Oui, avec des mots comme « front », « tranchée », »combattre » et avec à l’esprit cette année de commémoration, on partait vite vers la guerre de 14 !
      Bonne fin de semaine à toi aussi 🙂 .

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  3. Une petite note despoir pour finir pas mal apres cette triste histoire et ces souffrances intérieures mais peut être pas si facile a prendre cette place du disparu ? Surtout pour un etre fragile un peu coupable detre en vie a moins que l’amour soit plus fort ?

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  4. En effet, la guerre des tranchées en a inspiré plus d’un. Ton texte est plein de force, de douleur. Je crois que tu as bien fait de finir par une note tout en douceur, avec un soupçon d’espoir. Le jeune homme semble revenir à la vie et, pour ma part, cette fin me convient tout à fait (mieux que « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Quelquefois, mieux vaut ne pas trop en dire.

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    1. Etienne revient de loin et ce frémissement, c’est déjà beaucoup, pour lui.
      J’ai craint que cette fin paraisse un peu trop sucrée, mais pourquoi pas prendre le contrepied de ce qu’on pouvait attendre (un désespoir qui n’aurait pas de fin), d’autant que la vie, souvent, s’avère prendre le dessus (si les circonstances le permettent et là, il y a Clémence …).

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  5. Quelle douceur dans cette fin (je sens même que ma respiration a changé de rythme)
    Magnifique
    Pourtant, empli d’une telle douleur, on l’aurait bien cru au bord du désespoir

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  6. Oh j’aime bien ce texte, la renaissance de la vie (et de l’amour) après les horreurs de la guerre… l’espoir peut décidément fleurir quand on s’y attend le moins 🙂

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