
Tu ne sors plus depuis longtemps. Trente-trois ans mais déjà deux ans de chômage, loin de tes piges de journaliste spécialisée dans les faits divers. Antoine vient te voir occasionnellement. Sandrine aussi, ta seule amie.
La dernière fois qu’elle t’a rendu visite, c’était pour t’inviter à être son témoin de fiançailles. Pour que tu la retrouves là où celles-ci étaient célébrées, Sandrine a partagé sa localisation avec toi : ton GPS t’a conduite, toi qui pour le coup as bien été obligée de t’extraire de ton cocon-domicile, auprès d’elle.
Peu après, ton amie a disparu.
Mais elle n’a pas annulé le partage de localisation. Alors toi, à distance et par le biais de l’écran de ton téléphone, tu continues à suivre, de plus en plus fébrilement et sans en parler à quiconque, les mystérieux déplacements du petit point rouge censé la représenter sur la carte …
Le tu de proximité, procédé stylistique adopté dans le roman et que je me suis plu à reprendre en rédigeant ma présentation ci-dessus, a une fois de plus parfaitement fonctionné avec moi. Sans m’identifier à la protagoniste du roman, Ariane, j’étais suffisamment proche d’elle pour partager avec cette jeune femme désorientée davantage que sa localisation, pratiquement toujours la même, d’ailleurs, puisqu’elle se refuse à affronter le monde extérieur.
« GPS », c’est la chronique du quotidien d’une trentenaire esseulée (Antoine ne fait jamais que passer et le comportement d’Ariane le laisse à distance) se raccrochant à cette amie qui lui échappe à nouveau : on apprendra en effet que ce n’est pas la première disparition de Sandrine, elle s’est déjà éclipsée longuement et son absence a correspondu au décrochage professionnel d’Ariane. Si le fond est grave, le ton est enlevé et l’humour (noir) souvent présent, tant Ariane peut s’avérer décalée de la réalité. Ainsi, elle n’hésite pas à inventer des faits divers de toutes pièces, se plaisant à grossir les traits des situations décrites, tirant sans vergogne sur la corde du titre à sensation pour retenir l’attention du lecteur.
En s’investissant dans sa quête de Sandrine, qui se mue, suite à une découverte inquiétante de la police, en une pseudo-enquête, toujours à distance, Ariane se plonge littéralement au cœur de son GPS, des paysages et autres vues offertes par les captures des lieux sur Google Maps. Confondant virtuel et réel, elle défie les lois du déplacement, toujours à la poursuite du fameux petit point rouge, existant ou imaginaire, identifié comme Sandrine.
Dérivant dans l’espace, puis dans le temps (j’ignorais que Google Maps permettait de revenir en arrière en présentant les vues antérieures des lieux, comme si on remontait dans le passé), pourchassant la projection d’une Sandrine toujours en mouvement et les souvenirs d’une amitié datant de leurs seize ans, Ariane finit par errer aux frontières d’elle-même, l’explication rationnelle de la disparition de Sandrine ne suffisant pas à combler le vide qu’elle ressent.
Divagation entêtante et fantaisiste, voire fantasque, dont le rythme s’emballe, « GPS », faux polar centré sur la traque absurde d’un énigmatique et persistant point rouge, nous renvoie de manière primesautière et poignante à nos ultra modernes solitudes.

« GPS », Lucie RICO
éditions P.O.L (215 p)
paru en août 2022
Sibylline a aimé aussi.
L’avis d’Alex.
Je l’ai chroniqué aussi ! 🙂 et moi aussi, je l’ai bien aimé. Un peu plus que ça, même.
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Oui, moi aussi, j’ai bien aimé et « un peu plus que ça, même » 😉 !
J’avais effectivement lu ta critique, je l’ai constaté en la relisant et j’ai ajouté le lien vers ton billet.
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Ah oui, bonne idée. Je vais le faire aussi, et merci
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Tout à fait envie de le lire depuis ma lecture du précédent « Le chant du poulet sous vide », mais pas facile à trouver en bib’ dans mon fin fond de Bretagne… ça a du charme la campagne, mais pas que…
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C’est la première fois que je lisais l’auteure et je suis très contente de l’avoir découverte avec ce roman.
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Acheté par ma petite bibliothèque, je vais avoir l’occasion de le lire.
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Super 😎!
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Qui a inventé le GPS ? Hélène Ségara, bien sûr 😆
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euh … ???
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Hélène s’égara….
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Bon sang, mais c’est bien sûr 😂!
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Jeu de mot foireux, mais il marche mieux à l’oral qu’à l’écrit 🙂
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Tu as su me tenter avec ton billet. Il est d’ores et déjà réservé à la bibli dès qu’il sera de retour.
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Aaah 🙂 ! J’espère que tu accrocheras autant que moi .
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Je suis tout à fait d’accord avec toi.
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J’ai ajouté le lien vers ton billet 🙂 .
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« Le chant du poulet sous vide » était déjà d’une « étrange étrangeté » féroce et drôle, avec une verve prometteuse. J’emprunterai celui-ci à la bibliothèque, le GPS me paraît un point de départ plus austère.
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Je ne peux pas comparer sa tonalité avec son précédent roman, que je n’ai pas lu (mais je me l’achèterai peut-être, vu qu’il ne figure pas au catalogue de mes médiathèques), mais tu devrais aimer, je pense.
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