« Les Reines », Emmanuelle PIROTTE

Cinq siècles après la Chute du Vieux Monde, dans ce qui fut l’Europe du Nord, le temps des Reines est advenu. Chasseuses et guerrières, elles gouvernent le monde à rebours des erreurs technologiques d’autrefois. Presque partout, les hommes, ces anciens fauteurs de troubles, ne sont que tolérés. Mais Milo est un Fils du Vent, membre d’une compagnie de théâtre nomade, des Gypsies aux très anciennes traditions, loin de la puissance de ces femmes. C’est pourtant à cause d’une jeune fille fantasque, Faith, aveuglée par ses émotions, qu’il se retrouve mis au ban de son peuple.
Condamné à errer, désormais privé de toute attache, il ignore que son destin va l’amener à croiser la route de hautes figures, telle la reine Edda des Amazones. . .
Pendant ce temps, la sibylle Alba, à l’écart de la foule de ses semblables, vit depuis quinze ans recluse sur une île du Nord aux rochers battus par les vents, revoyant les heures honteuses de son règne passé et apercevant des images du futur …

Je connaissais Emmanuelle Pirotte pour avoir beaucoup aimé « Loup et les hommes» et j’étais donc curieuse de découvrir son nouveau roman.
Avec « Les Reines », l’auteure s’engage sur les sentiers de l’imaginaire. Mais si elle emprunte par moments certains codes du genre, c’est pour se les approprier et en faire quelque chose de très personnel.

Suivre les aventures de Milo et Faith nous permet de nous immerger dans un environnement rude et dépaysant, en découvrant progressivement les paysages, les habitants et les mœurs d’une ère terrestre nouvelle. Elle se situe non pas dans le post-apocalyptique mais dans le post-effondrement (il faut dire que, maintenant, si le spectre de l’apocalypse nucléaire n’a pas complètement disparu, tant s’en faut, celui de l’effondrement de nos sociétés a malheureusement le vent en poupe), thématique propice pour redessiner les contours du monde, en essayant de mieux faire, bien sûr.
L’arrière-plan restera flou, on saura seulement qu’après une quasi-extinction de l’espèce humaine, celle-ci a émergé à nouveau. On parle de l’Ancien Monde, celui de juste avant la Chute et du Très Vieux Monde, encore plus loin dans le temps. De nouvelles coutumes ont vu le jour, qui veulent empêcher le retour à la technologie et à ses conséquences néfastes, même si d’aucuns le souhaiteraient. Le climat est froid et la vie rustique et difficile pour tous, car rien ne subsiste des conquêtes du progrès scientifique. Enfin, mais on ne nous dévoilera pas les conditions de son émergence, qui restent mystérieuses, c’est le règne des femmes.

Emmanuelle Pirotte nous emmène dans un récit aux accents lyriques, proche de l’allégorie ou de la légende transmise aux générations futures. Le réel, parcouru d’une magie diffuse, y côtoie le mythe, dans la perception de la figure féminine en particulier. A cet égard, Faith m’a paru se rapprocher davantage d’une représentation ancrée dans l’imaginaire que témoignant des changements de l’époque (c’est un personnage qui m’a dérangée, je ne me suis pas sentie à l’aise avec ce qu’elle pouvait véhiculer). Délivrées de l’ancestrale tutelle masculine, les femmes ont en effet, globalement, pris le pouvoir. Mais elles vacillent en cherchant à conserver une place pérenne en ce monde, certaines reines ont déjà été remplacées par des rois. Le paradigme de la femme foncièrement différente de l’homme est ici mis à mal : comme l’homme avant elle, la femme s’adonne à son tour aux jeux du pouvoir sans partage et craint par dessus tout de s’en voir dépossédée, au point d’être capable de mettre à mort l’héritier mâle d’un royaume.
Hors des perspectives du tout ou rien, ce beau roman, chargé de bruit et de fureur, s’engagera in fine sur une voie médiane, celle du compromis, « dans l’espoir […] que l’humanité ne se perde plus sur le chemin de ses devenirs ».

« Les Reines », Emmanuelle PIROTTE
éditions Le Cherche Midi – collection Cobra* (519 p)
paru en août 2022
* La collection Cobra se veut une piqûre de rappel, elle prône un retour au roman comme « récit contant des aventures merveilleuses ».

8 commentaires sur “« Les Reines », Emmanuelle PIROTTE

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