« Les Facétieuses », Clémentine BEAUVAIS

Clémentine Beauvais, auteure jeunesse confirmée, est en panne de sujet de roman et ce n’est là qu’un des soucis plombant son moral. Sa vie a en effet pris depuis peu un virage déplaisant car elle a dû quitter l’Angleterre et le poste d’enseignante qu’elle y occupait depuis de nombreuses années. Elle habite provisoirement le petit studio parisien légué par sa mère à elle et sa sœur, mais justement ladite sœur projette de le mettre en vente.
A une terrasse de café, Clémentine rencontre une vague connaissance qu’elle ne reconnaît pas, metteure en scène projetant un spectacle relatif aux enfants célèbres mais dont l’existence fut brève. Le concept laisse notre narratrice dubitative, mais l’aspect financier de l’affaire n’étant pas négligeable, la voilà amenée à s’intéresser à l’enfant au sujet duquel elle doit écrire une saynète : Louis XVII, le petit dauphin, qui mourut en 1795 dans les cachots de la prison du Temple.
Émue par son sort, Clémentine en vient à s’interroger sur un point clé, qu’elle n’a jamais vu évoqué dans les manuels d’histoire : qui donc était la marraine la bonne fée de Louis XVII et que s’est-il passé pour qu’elle laisse son filleul connaître un destin aussi tragique ?

Le monde de Clémentine (l’héroïne est l’auteure, enfin disons qu’il y a pas mal d’elle dans ce personnage éponyme âgée comme elle de trente-deux ans) est en tous points similaire au nôtre, à un (petit) détail près : les marraines la bonne fée (sic) ont existé, elles sont évoquées dans les livres de classe, mais rapidement, sous forme de petits encarts insérés dans les pages consacrées à la Révolution française, après laquelle on n’en a plus entendu parler.
Grâce à ce (petit) décalage par rapport à notre réalité, l’auteure entrebâille la porte du merveilleux, à peine, sans doute pas assez pour écrire un roman de fantasy (encore que), au grand dam de son éditeur, mais suffisamment pour nous mettre le sourire aux lèvres. En même temps, notre facétieuse auteure, en quête d’un sujet de roman, s’inscrit à sa manière parodique dans le genre en vogue depuis un moment : celui du roman d’enquête sur fond d’autofiction, où elle se met donc en scène en train de mener ses investigations (et, comme chez certain.e.s, l’enquête finira par prendre un tour personnel inattendu). Celles-ci lui fournissent aussi l’occasion de revoir à plusieurs reprises Charles, qui pourrait enfin devenir davantage qu’un ami (de quoi susciter une petite scène de sexe ne déplaisant pas à l’éditeur) mais ce n’est pas gagné, il y a toujours un truc qui coince.

Le début du roman m’a emballée, j’y ai retrouvé le ton plein d’humour de « Brexit romance », que j’avais beaucoup aimé, utilisé ici pour dépeindre les déboires de tous ordres que l’auteure rencontre. Cerise sur le gâteau, l’irruption d’une pointe de merveilleux, même au passé, dans un environnement par ailleurs familier, avait tout pour me séduire.
La suite ne m’a cependant pas captivée autant que je l’aurais souhaité. C’était toujours enlevé et drôle, mais il me manquait en effet un réel enjeu narratif : à peine se demande-t-on vaguement qui donc était la marraine la bonne fée de Louis XVII et pourquoi la mémoire de son nom a mystérieusement disparu, si bien que je me suis surprise à reprendre ma lecture sans empressement, guère passionnée par la question. Il reste que j’appréciais le talent de notre auteure pour reproduire le style épistolaire du XVIIIème siècle, son enquête l’amenant à étudier des documents de l’époque dont son imagination garantit le piquant. Le récit est en outre émaillé de jolies trouvailles et autres petits dérapages comme l’irruption d’un loir dans une théière, l’apparition d’une fenêtre se souvenant de ce qu’elle a vu et ces touches magiques vont se multiplier autour de Clémentine
Heureusement, les choses se sont mises, comme l’enquête, à avancer et moi aussi dans ma lecture, devenue plus prenante : la question Louis XVII s’intègre dans une perspective plus vaste avec une problématique bien vue. L’orientation (je pense à l’approche socioculturelle dans laquelle Clémentine inscrit l’étude du cas des marraines) et le tour pris par l’histoire dans sa dernière partie, jusqu’au dénouement, ont achevé de me séduire.

Avec « Les Facétieuses », roman s’amusant avec bonheur à mêler fantaisie et fantasy, Clémentine Beauvais réenchante malicieusement notre quotidien.


Et avec cette première chronique de l’année,
je vous souhaite d’excellentes lectures pour 2023 !

« Les Facétieuses », Clémentine BEAUVAIS
éditions Sarbacane (310 p)
paru en mai 2022

14 commentaires sur “« Les Facétieuses », Clémentine BEAUVAIS

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    1. Je préfère ne pas te recommander Brexit Romance, qui joue beaucoup avec la langue anglaise et risque donc de ne pas te convenir. C’est le seul que j’aie lu d’elle pour le moment.

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  1. Bonne et heureuse année 2923 en compagnie de nos amis les livres !
    Petite déception pour moi pour ce début d’année avec « la cité des nuages et des oiseaux » d’Anthony Doerr …je l’ai trouvé ennuyeux 😴

    Aimé par 1 personne

    1. Les livres sont effectivement de bons compagnons 🙂 !
      Ton commentaire sur « La cité des nuages … » m’intéresse beaucoup car, justement, je crains de m’y ennuyer, dans ce roman (raison pour laquelle je ne l’ai pas réservé à la bibli et même pas noté dans mes idées de Pavés de l’été) …

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  2. J’ai beaucoup aimé de cette autrice « Les petites reines » et étais contente de partager mes impressions récemment avec une jeune lectrice de treize ans, fille de nos amis.
    Bonne année, Brize, pleine de lectures enthousiasmantes !

    Aimé par 1 personne

    1. Ah oui, c’est cool de pouvoir échanger avec une lectrice qui fait justement partie du public cible !
      Et j’espère effectivement faire de chouettes lectures cette année 🙂 .

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    1. Ah mais justement, c’est ce que j’ai laissé entendre, ça va bien plus loin que ça 😃 !
      Allez, je n’insiste pas, je ne te sens pas d’humeur facétieuse 😁 !

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