« Les enfants de la Volga », Gouzel IAKHINA

Dans la Russie des années 1920, Gnadenthal est un petit village florissant au bord de la Volga : ses habitants font partie de la colonie allemande qui s’est installée là dans la seconde moitié du 18ème siècle, après y avoir été invitée par l’impératrice Catherine II (elle-même d’origine allemande).
Jakob Ivanovitch Bach, homme discret et solitaire, y exerce machinalement ses fonctions de maître d’école, seuls la poésie ou les orages parviennent à l’émouvoir. Sa vie s’écoule ainsi, routinière, jusqu’à ce jour où il est convoqué par un mystérieux étranger dans une ferme reculée située sur les hauteurs de la rive opposée de la Volga. L’homme, Ugo Grimm, aisé et rustre, lui demande d’enseigner le haut allemand à sa fille de dix-sept ans, qu’il souhaite pouvoir ensuite donner à marier en Allemagne. Mais lors de sa rencontre-test avec son élève éventuelle, sous le contrôle silencieux et efficace de la servante Tilda, Bach découvre avec stupéfaction qu’un paravent le sépare de celle-ci, et pas question d’y toucher.
Il accepte cependant de donner des cours à la jeune fille.
Ainsi commence sa relation avec Klara, puisque tel est son prénom, qui bouleversera à jamais toute la suite de son existence …

Avec « Les enfants de la Volga », Gouzel Iakhina a voulu évoquer un pan méconnu de l’histoire de la Russie, en se focalisant sur celle des Allemands de la Volga des années 20 à 50 : ceux-ci ont connu, au moins autant que le reste du peuple russe, les soubresauts terribles liés aux conflits internes et externes dont l’immense territoire a été la proie.
Pour ce faire, elle a eu l’excellente idée de ne pas attaquer la question de front mais de manière incidente. La chronique de Gnadenthal ne nous est donc pas narrée telle quelle, elle ne semble pas être le sujet principal puisque c’est Bach lui-même, avec son parcours personnel marqué par l’irruption de Klara et ses conséquences, qui occupe le devant de la scène et retient notre attention. Mais alors qu’il vit dorénavant à l’écart, Bach garde et gardera toujours un œil sur le village, ne pouvant parfois s’expliquer qu’a posteriori ce qui s’y est passé. Cette position décalée n’a pas que le mérite de l’originalité. L’incompréhension souvent affichée par Bach, témoin trop lointain des événements pour en saisir le sens, reflète la difficulté que peut avoir l’individu pris dans le cours de l’histoire, lorsqu’il s’accélère, pour en appréhender la signification. Et en Russie, tout changeait si rapidement alors que rater un épisode pouvait vous rendre incapable de suivre le reste de ce feuilleton tumultueux, plein de bruit et de fureur.

Cette chronique indirecte se pare en outre d’atours singuliers, puisqu’il lui arrive de déborder des marges du réel pour gagner les rivages de l’étrange, voire pénétrer les terres du conte. La plume de l’auteure, précise dans ses descriptions et déjà encline au lyrisme, semble alors emprunter les chemins de l’allégorie, mais toujours avec élégance : c’est au lecteur de choisir ce qu’il veut croire ou interpréter, l’essentiel consiste à ressentir l’atmosphère dans laquelle baignent les lieux, les choses et les gens.

Ballotté par les soubresauts de sa vie, Bach, mutique, en oublie parfois de penser mais ne perd jamais de vue l’essentiel : le soin apporté aux êtres chers. Est-ce suffisant pour (sur)vivre quand tout change autour de soi de manière aussi radicale ? Sans répondre à cette question, le roman invite aussi à s’interroger sur la place de l’individu au sein du collectif, sur la relation enfants/adultes et sur la transmission d’une génération à l’autre (alors que, en Russie soviétique, les jeunes étaient enrôlés parmi les pionniers chargés de surveiller leurs aînés, ce qu’ils faisaient avec enthousiasme).

« Les enfants de la Volga » est porté par une écriture remarquable et un  puissant souffle romanesque… ce qui ne m’a pas empêchée de peiner un peu pour venir à bout de ses 500 pages. Il m’a moins embarquée que « Zouleikha ouvre les yeux », avec lequel j’avais découvert l’auteure. Peut-être le personnage de Bach, introverti et de plus en plus passif face à des événements traumatisants qui le laissent littéralement sans voix, n’a-t-il pas su me passionner au point que la longueur du roman ne se fasse pas sentir. J’ai moyennement apprécié, par ailleurs, que le rythme du récit soit à deux reprises rompu, comme par hasard à un moment critique, par un chapitre imagé consacré à Staline, toujours désigné à mots couverts (pour tout dire, je les ai sautés pour y revenir ensuite).
Un roman dense, donc, qui m’a séduite tant par son objet que par son écriture et sa manière de mêler à l’occasion le conte à la réalité, sans toutefois réussir à me captiver sur la durée.

« Les enfants de la Volga », Gouzel IAKHINA
titre original Deti Moi
traduit du russe par Maude Mabillard
éditions Noir sur Blanc (506 p)
paru en août 2021

13 commentaires sur “« Les enfants de la Volga », Gouzel IAKHINA

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    1. Oui ! Il est dense aussi, mais (pour moi) il « passe » mieux, les personnages sont plus attachants, je trouve. Après, « Les enfants de la Volga » est un livre fort, avec des choses magnifiques, je pense qu’il me laissera son empreinte.

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    1. Merci, Luocine 🙂 !
      Pour les longueurs, c’est une appréciation très personnelle (comme tout le reste, tu me diras) et il s’agirait plutôt de lenteurs car je ne vois pas ce que l’auteure aurait pu élaguer. Le fait que je ne sois pas quelqu’un qui lit vite joue aussi.

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    1. Je l’ai lu en début d’année et j’ai beaucoup aimé. J’aurais dû faire un billet (j’avais pris des notes dans cette optique, en plus !), mais j’ai traîné et il n’a jamais été fait …

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