« Les Sauvages » (intégrale en 2 volumes), Sabri LOUATAH : de la série aux livres

A Saint-Etienne, à la veille d’une élection présidentielle hors du commun, puisqu’elle oppose le président sortant, Sarkozy, au candidat de la gauche d’origine algérienne, Idder Chaouch, la famille Nerrouche célèbre dans une bruyante et volubile effervescence le mariage de Slim.
Ces festivités ne permettent pas aux deux frères de Slim, ennemis jurés depuis trois ans, de se retrouver, puisque Nazir, l’aîné, n’y participe pas. Fouad, quant à lui, acteur connaissant un certain succès grâce à une série télévisée populaire, essaie de se rapprocher de son petit cousin Krim, dix-huit ans à peine, de plus en plus refermé sur lui-même. Ce que Fouad ignore, c’est que Nazir est en contact depuis quelque temps avec Krim et oriente ses activités vers un dessein bien particulier.

Chez les Nerrouche, des gens apparemment sans histoire, l’événement qui vient soudain bouleverser la vie des Français va connaître un retentissement spécifique, véritable onde de choc balayant tout sur son passage …

C’est à dessein que je ne vous en dis pas davantage, de peur de gâcher l’effet de surprise. Moi-même je ne savais rien lorsque j’ai commencé à regarder la mini-série (6 épisodes – septembre 2019) tirée de cette saga (4 tomes parus entre 2011 et 2014, regroupés ici en deux gros volumes), que j’ai beaucoup aimée. En me renseignant ensuite sur les romans dont elle était tirée, j’ai été intriguée par le fait que le personnage-clé de Krim semblait y être traité de manière différente et la curiosité à son endroit m’a poussée à aller vers les livres.
J’ai ainsi découvert que c’était l’auteur lui-même, Sabri Louatah, qui s’était chargé du passage de l’écrit à l’écran. Donc plus question de crier à la trahison ! Non, c’est autre chose. La manière dont l’auteur a conçu la série est très intéressante : les matériaux de base sont identiques, ou presque et tout est dans le presque. Ainsi pour le Krim de la série, l’auteur a pris certains traits du Krim du livre, plus exactement certains de ses possibles et les a développés pour donner naissance à un autre Krim (trop énigmatique à mon goût sur le petit écran, au point d’y perdre en crédibilité). La série est donc une variation à partir des éléments du roman, une autre version qui aurait pu être choisie par l’auteur. Ce qu’il advient du personnage de Krim n’en est pas le seul exemple : il y en bien d’autres, dont un, majeur, concernant le traitement réservé au personnage de Chaouch, où l’auteur, dans le livre, n’avait pas hésité pas à pousser le curseur beaucoup plus loin.

C’est grâce à ces différences que ma lecture, tranquille au début, a progressivement gagné en intensité : mon impression initiale de savoir trop bien vers où on allait s’est en effet dissipée, j’ai été prise par ce récit tonique et rythmé autant que je l’avais été par la série et j’ai enchaîné sans mollir les deux pavés.
Soulignons au passage la qualité de l’écriture (on a affaire à un véritable écrivain, pas à un scénariste), avec notamment son talent (que je ne constate pas toujours chez d’autres auteurs) pour tirer le portrait des individus qu’il met en scène, parfois un peu à la manière d’un Daumier.
Les personnages sont nombreux mais on ne s’y perd pas, aidés en cela par la présence d’un arbre généalogique de la famille Nerrouche au début du premier tome puis par de brefs organigrammes des instances politico-judiciaires par la suite. Tous sont dignes d’intérêt (même si on n’échappe pas au traditionnel méchant-sans-scrupules) et/ou attachants et Sabri Louatah évite de porter un jugement sur eux, y compris sur Nazir, agitateur sans scrupules dont on se demande s’il est prêt à tout pour (r)éveiller ceux qui l’entourent.

« Les Sauvages », ancré dans notre réalité française qu’il invite à questionner, mêle avec brio saga familiale riche en émotion(s) et politique-fiction pleine de rebondissements, sur fond d’enquête policière anti-terroriste et de cités en crise, sous l’œil avide des médias et réseaux sociaux. L’intrigue, avec son montage en cascade d’événements dont on se demande s’ils sont liés, s’avère complexe et retorse à souhait et ses ramifications plongent dans les profondeurs troubles des différents milieux concernés. L’auteur s’amuse à semer la confusion mais il sait où il va, tout prendra son sens in fine.
Il y a chez notre écrivain du Dumas feuilletonnant ou du Hugo, celui des Misérables ou de L’homme qui rit, et aussi quelque chose de l’ordre de la joie, dans cette narration où le propos, s’il est sérieux et souvent dramatique sur le fond, épouse les soubresauts de la vie, avec des touches d’humour et de fantaisie (je pense par exemple aux ours qui dansent ou à ce « à 20.000 lieues en dessous de la vraisemblance », p 340 du tome 2, petit clin d’œil complice au lecteur).
Bref, j’ai pris grand plaisir à lire « Les Sauvages », deux formidables petits pavés, intelligents et captivants.

« Les Sauvages », Sabri LOUATAH
Intégrale publiée par les Editions J’ai lu :
volume 1 (630 pages) rassemblant les tomes 1 et 2 (parus en 2011 et 2012)
volume 2 (601 pages) rassemblant les tomes 3 et 4 (parus en 2013 et 2014)

11 commentaires sur “« Les Sauvages » (intégrale en 2 volumes), Sabri LOUATAH : de la série aux livres

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  1. J’avais adoré cette saga ! Un mélange terriblement efficace comme tu le dis, de saga familiale et de politique fiction, à la fois drôle, attendrissante et intelligemment réflexive. Je n’ai pas vu la série, que je pensais être juste une adaptation, mais l’idée d’une variation attise davantage ma curiosité.

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  2. C’est drôle, j’ai vu ces deux pavés à la librairie l’autre jour et je les ai finalement reposés, mais si tu dis que c’est prenant, je vais y revenir. Je n’ai pas vu la série, du coup je préfère lire d’abord les livres.

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  3. J’ai beaucoup apprécié la série, mais j’avais lu je ne sais plus où une critique très sévères des livres, à croire que c’était écrit avec les pieds ! Ton avis me rassure grandement et je note au cas où je le croiserais en bibliothèque.

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    1. Mais oui, j’ai vu quelques critiques (minoritaires) en ce sens sur Babelio et je ne suis pas du tout d’accord avec !
      En tout cas, comme tu as aimé la série, ça devrait te plaire, si tu as l’occasion de t’y plonger.

      Aimé par 2 personnes

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