Chez Nora Krug, la culpabilité d’être née allemande, dans les années 70, porteuse du poids de la Shoah, est un sentiment prégnant dont même son expatriation aux États-Unis et son mariage avec un juif ne parviennent pas à la délester. Attachée à elle, il y a la nécessité de savoir si oui ou non les membres de sa famille, à l’époque de la guerre, ont eu une part active dans les atrocités nazies. Seul moyen de tâcher de se soulager, le cas échéant, de ce fardeau : mener l’enquête.
C’est ainsi qu’elle entreprend un minutieux travail d’investigation portant sur les deux branches de sa famille : la maternelle (son arbre généalogique figure en tête du livre et les couleurs utilisées, dans les bleus et verts, seront reprises dans les pages qui lui seront consacrées) et la paternelle (arbre tout à la fin, couleurs des pages dans les jaunes orangés). Telle une archéologue des décennies proches, elle fouille dans ce qu’il peut rester de traces de ce passé, exhumant des documents personnels, mais aussi d’autres qui le sont moins, reflets de la vie d’une génération. Elle nous emmène à ses côtés dans ce parcours parfois angoissant (lorsqu’elle récupère le dossier de son grand-père) où elle a entraîné son père et sa mère, à la redécouverte de Külsheim et de Karlsruhe, le village et la ville de leur enfance. Dans ces deux localités, elle traque la manière dont les habitants se sont comportés vis-à-vis des juifs, cherchant à découvrir l’attitude que ses grands-parents avaient alors adoptée. Et de temps en temps, elle fait une pause au milieu de ses recherches pour nous offrir un « Extrait du journal d’une émigrée nostalgique » (car la nostalgie est aussi un sentiment que sa patrie peut susciter chez elle), avec des pages recensant des « choses allemandes » aussi emblématiques que la colle UHU, le champignon vénéneux, le classeur à anneaux …
« Heimat » (patrie, en allemand) s’avère autant la chronique d’une enquête que d’une quête personnelle, pour ne pas dire existentielle, celle des origines, un travail sur la mémoire et les racines comme chacun, même en dehors du cas très particulier de Nora Krug, peut être tenté d’en mener. Qu’est-ce qui a pu nous façonner ? Sommes-nous responsables de ce que, avant nous, nos ascendants ont vécu/fait/commis ?
Dans sa forme, « Heimat » est un objet littéraire hybride. L’abondance des dessins le classe d’emblée parmi les romans graphiques … sauf que ce n’est pas un roman, mais un récit de vies et, dans certaines pages à portée plus générale, il s’approche de l’essai. La maquette de l’ouvrage lui-même est remarquable : s’y mêlent, dans un tourbillon chromatique habilement exploité (voir le début de mon deuxième paragraphe), les dessins de l’auteur (euh … plus douée pour dessiner les animaux et les choses que les personnages, car pour ceux-ci j’ai trouvé son dessin assez basique, pour ne pas dire enfantin) et les témoignages d’époque, photos et documents d’archives, le tout talentueusement mis en pages, avec beaucoup d’originalité et de belles trouvailles dans la présentation du récit. Pour vous donner une idée du livre et de son incroyable variété d’un point de vue iconographique et typographique, je ne saurais trop vous inviter à jeter un œil ici : c’est le site de l’auteur et, en bas de page, il y a une vidéo montrant l’ouvrage rapidement feuilleté, comme vous le feriez en librairie, de quoi vous en offrir un aperçu beaucoup plus complet que les quelques pages présentées à la fin de ce billet.
« Heimat », qui revisite à une petite échelle, celle du Monsieur Tout le monde allemand, l’Allemagne à la période la plus critique de son histoire, est une BD intéressante à plus d’un titre, tant pour son fond que pour sa forme.
« Heimat », Nora KRUG
traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle Casse-Castric
éditions Gallimard (288 p)
paru en octobre 2018
Une enquête familiale j’adore ! Même si la couverture ne m’aurait pas trop attirée. ..
J’aimeJ’aime
La couverture reprend le célèbre tableau de Caspar David Friedrich (« Le voyageur contemplant la mer de nuages »), mais bon, je suis comme toi, elle ne me convainc pas.
C’est un album que je ne connaissais pas, même de vue, et je l’ai découvert lorsque j’ai eu le plaisir de le recevoir à Noël (lu dans la foulée et heureusement que j’avais pris des notes juste après, vu le temps que j’ai mis à me décider à faire mon billet (je voulais l’améliorer, mais finalement j’ai juste mis en forme ce que j’avais noté) ).
J’aimeJ’aime
J’aime beaucoup les pages présentées ! Et le thème est forcément digne d’intérêt. J’aimerais bien le trouver à la médiathèque.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci pour cette très belle découverte que je note sans tarder.
J’aimeAimé par 1 personne
La couverture n’est pas vraiment attractive. Dommage car l’album semble valoir la lecture et ce sont des thèmes qui m’intéressent. Je note, je note!
J’aimeJ’aime
Pour la couverture, comme je le disais plus haut, elle fait référence à un tableau célèbre.
J’aimeJ’aime
Hé, mais il a tout pour me plaire, ce roman graphique… il me semble l’avoir déjà vu quelque part (Page des Libraires, peut-être ?) mais pas noté encore.
J’aimeAimé par 1 personne
Voilà qui peut m’intéresser et pas qu’un peu. Ma bibli ne l’a pas, cet après-midi, allez hop, suggestion ! (ils me voient arriver de loin maintenant, ils me tendent le cahier où noter les demandes).
J’aimeJ’aime
Ah ah, j’ai tout à fait imaginé la scène avec tes bibliothécaires !
J’aimeJ’aime
curieux… il m’intrigue!
J’aimeAimé par 1 personne
Comme Nathalie plus haut, je trouve que la couverture ne rend pas justice à l’originalité du contenu.
Lors de ma prochaine balade, j’irai voir ça de plus près (et puis, 4 parts de tarte, ce n’est pas si courant, hein ?)
J’aimeJ’aime
Je le disais à Nathalie, la couverture fait allusion au fameux tableau de Caspar David Friedrich, mais je trouve qu’elle n’incite pas trop à ouvrir le livre pour en découvrir le contenu, on n’imagine pas ce que les pages peuvent proposer.
(et oui, 4 parts de tarte, ce n’est pas fréquent mais là, c’est sûr, l’album correspond bien à la définition, il est « marquant ! »)
J’aimeJ’aime
je trouve le sujet très intéressant mais je suis un peu rebutée par la forme… à voir si je la trouve en bib.
J’aimeJ’aime
La forme est particulière, j’aime beaucoup mais les goûts et les couleurs 😉 !
J’aimeJ’aime
Le sujet est intéressant et l’objet livre atypique. Cela donne envie de l’avoir entre les mains !
J’aimeJ’aime
C’est exactement ça, un « objet livre atypique » !
J’aimeAimé par 1 personne
J’ai un peu de mal avec la couverture et la page que tu nous fait découvrir ne me donne pas plus envie que ça. Et pourtant le scénario m’interpelle…
J’aimeJ’aime
Il y a plus qu’une page, Amandine, c’est un diaporama (flèches au milieu en bas de l’image).
J’aimeJ’aime
Un sacré objet-livre on dirait !
J’aimeAimé par 1 personne
Pourquoi pas pour approfondir la connaissance de cette période.
J’aimeAimé par 1 personne
Je l’ai vu passer sur Insta (j’avais même participé à un concours pour remporter l’ouvrage mais pas de bol) et il m’attire de plus en plus!
J’aimeAimé par 1 personne
Il me faut absolument ce livre ! 🙂
J’aimeAimé par 1 personne
Oh !!! Super intéressant !! Je note avec empressement !
J’aimeAimé par 1 personne
J’aime beaucoup la présentation, un peu moins l’histoire..
J’aimeJ’aime
C’est un peu fastidieux (car méticuleux) par moments, mais porté par une réflexion très pertinente sur l’attitude de « Monsieur Tout le monde » face à des situations extrêmes.
J’aimeJ’aime
ce que tu dis donne envie mais je ne suis pas sûre de me laisser tenter !
J’aimeJ’aime
Il faudrait que tu le trouves en bibliothèque.
J’aimeJ’aime
Le dessin ne m’attire pas trop mais le propos oui !
J’aimeJ’aime
Je n’aime pas tout dans le dessin mais je trouve que l’œuvre est globalement très réussie.
J’aimeJ’aime
Je suis très curieuse de cet album et je vais m’empresser d’ailleurs le voir de plus près !
J’aimeAimé par 1 personne
Quelle richesse graphique ça a l’air d’être ! Evidemment, je suis titillée.
J’aimeJ’aime
Je l’ai acheté en version anglaise au mois de décembre, mais je ne l’ai toujours pas lu. Ton billet fait donc office de piqûre de rappel. Merci ! 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Moi aussi la couverture me plait moyen, mais le sujet des origines familiales m’attire… Merci pour la présentation, je n’avais jamais vu cet album avant !
J’aimeJ’aime