« Moi, ce que j’aime, c’est les monstres », Emil FERRIS

Je suis partie à la rencontre des monstres d’Emil Ferris sans trop savoir de quoi il retournait, mais l’ouvrage était précédé d’une belle réputation (couronné de prix outre-atlantique, les Inrockuptibles en parlaient comme de l’événement de la rentrée littéraire en BD) et son ambiance graphique m’attirait. Si je vous dis que j’ai trouvé cette BD vachement bien, je conçois que vous trouviez ça un peu court, donc je vais tâcher d’être plus explicite !

Karen, 10 ans et ne manquant pas de maturité, apprécie deux choses dans la vie : le dessin et les monstres, raison pour laquelle elle reproduit régulièrement dans ses cahiers les couvertures des magazines d’histoires d’horreur. Son frère Diego, de douze ans son aîné et auquel aucune femme ne peut résister, a suscité très tôt en elle ce goût pour le dessin et aussi pour la découverte des tableaux exposés dans les musées. Pour en revenir aux monstres, Karen elle-même en est un, c’est ainsi qu’elle se représente, loup-garou en devenir avec deux crocs sortant de sa bouche. Ses condisciples ne s’y sont pas trompés puisqu’elle est la cible de leurs moqueries permanentes et la seule amie qu’elle avait s’est détournée d’elle.
Sa mère, elle et Diego habitent dans un sous-sol à Chicago, on est à la fin des années soixante. Juste au-dessus de chez eux vivent Monsieur Silverberg et son épouse, Anka, une femme un peu spéciale mais que Karen aime beaucoup. Un jour, Anka est retrouvée chez elle, dans l’appartement fermé à clé de l’intérieur, morte d’une balle reçue en plein cœur. On conclut à un suicide mais Karen, persuadée qu’il ne peut s’agir que d’un assassinat, décide de mener l’enquête. Ses investigations l’emmèneront jusque dans le Berlin de l’entre-deux guerres, où Anka vécut la première partie de sa vie dans des conditions terribles …Si certaines œuvres dessinées méritent bien le nom de roman graphique, délaissant les phylactères traditionnels pour insérer du texte où et comment il leur plaît, c’est bien celle-ci ! Le texte est abondant et il faut en souligner la qualité littéraire. Le dessin quant à lui est généreusement offert, emplissant les pages et ne s’enfermant que rarement dans des cases. Ses crayonnés vont du noir et blanc à la couleur et il est souvent très fouillé . J’ai été notamment impressionnée par la qualité de certains portraits ou encore des esquisses de lieux (une rue, un appartement), sans parler des tableaux vus au musée que Karen reprend à son compte (analyse à l’appui, guidée par Diego). A ce propos, il y a une planche magnifique évoquant de manière métaphorique l’immersion dans un tableau (celui du Radeau de la Méduse).

« Moi, ce que j’aime, c’est les monstres » est une œuvre foisonnante, avec sa part de mystère et de poésie. L’enquête de Karen va, par ricochet, l’amener à s’interroger sur sa propre famille et ses secrets. Le tragique (celui du destin d’Anka puis celui qui s’invite dans le foyer de Karen) le dispute à l’humour (de moins en moins présent cependant au fil des pages) dont la jeune dessinatrice fait preuve lorsqu’elle observe, avec clairvoyance, le monde qui l’entoure et se plaît à le croquer. La réflexion sur ce qui fait de certains des monstres, à savoir leur différence (de catégorie sociale, de couleur de peau ou de physique, de préférence sexuelle), parcourt un récit ancré dans son époque (ou dans celle d’Anka), prenant, souvent (très) sombre, voire sordide, mais toujours plein de sensibilité et centré sur des personnages attachants : une œuvre graphique hors du commun, qui m’a emballée (et dont je ne manquerai pas de lire le second volet, à paraître, d’autant plus que, parvenus à la fin de ce Livre premier, on attend des réponses aux questions soulevées) !

« Moi, ce que j’aime, c’est les monstres », Emil FERRIS
titre original My Favorite Thing is Monsters (416p)
éditions Monsieur Toussaint Louverture (416 p)
paru en août 2018

Présentation de l’ouvrage et de son auteure (toute une histoire, celle de sa vie et de son manuscrit !) sur le site de l’éditeur.

Rendez-vous aujourd’hui chez Stephie !

25 commentaires sur “« Moi, ce que j’aime, c’est les monstres », Emil FERRIS

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  1. Je n’aime pas les histoires de monstre, les dessins ne sont pas de ceux que j’aime au premier coup d’oeil, et pourtant j’ai trouvé ce premier volume exceptionnel. C’est riche, c’est beau, c’est novateur… c’est monstrueusement extra-ordinaire.

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    1. D’autant plus d’accord avec toi que ce ne sont pas non plus des dessins que j’aime au premier coup d’œil (mais, lorsque j’avais feuilleté l’album, l’objet lui-même, avec sa mise en page, m’avait beaucoup plu).

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  2. Cet album est fascinant. Je ne l’ai pas encore lu, nous venons juste de le recevoir à la médiathèque où je travaille, mais déjà, quel objet, et j’ai hâte de m’y plonger. Une expo des planches va d’ailleurs bientôt débuter sur Paris, si jamais…

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