« Un voyage sans retour », Gaspard NJOCK

Malik, 17 ans, Camerounais, écrit à sa mère une lettre où il s’excuse d’être parti sans crier gare et sans donner ensuite signe de vie : entraîné par ses potes, il a quitté le Cameroun pour le rêve européen, mais rien ne s’est déroulé comme prévu. Il raconte la terrible traversée puis l’arrivée à Lampedusa, où les sandales fondent tant la température est bouillante. Après, il y a la fuite et il se retrouve pris en charge par Carla, une jeune femme qui travaille dans un centre social sicilien. Malik revient sur ce qui s’est passé avant son départ du Cameroun, ce pays dont il a la nostalgie …

Très bel album que ce Voyage sans retour, aussi bien pour son graphisme, car l’auteur l’a dessiné entièrement en aquarelles et le résultat est remarquable, que pour son histoire. Présentée comme un docu-fiction, où l’auteur s’est inspiré (un peu) de son vécu, elle évoque le drame des migrants, dont les bateaux connaissent régulièrement des naufrages et qui subissent ensuite l’enfermement dans des camps de détention en attendant d’obtenir ou pas un statut de réfugiés. Sur cette trame de fond, elle pose le personnage de Malik. Avec lui, emblématique de ses pairs, des jeunes de sa génération et pas seulement africains (pour Anna, « Les jeunes d’ici se sentent aussi abandonnés et perdus que les jeunes Africains »), elle creuse plus loin, vers les racines du mal-être.
Malik s’ennuie. Pas assez costaud pour aider ses parents, sans perspective d’emploi (« Faire du mototaxi est l’unique chance d’avoir une profession pour les jeunes qui viennent de la campagne »), il s’intéresse seulement au cinéma mais son art de resquiller pour voir ce qu’il ne peut s’offrir n’a qu’un temps. A Douala, explique-t-il, « Les gens ont cessé de rêver. Tout nous semble hors de portée. » Il traîne, désœuvré, en proie à une difficulté d’être diffuse (« L’ennui, la liberté, le néant …»), sans pourtant se laisser, au moins dans un premier temps, embarquer dans les combines foireuses de ses copains peu recommandables. Ses parents l’envoient à la campagne, chez son grand-père, pour le soustraire aux dangers de la ville et en pensant que « Les travaux champêtres l’occuperont », mais rien n’y fera et Malik émigrera. Loin de chez lui, il se souvient avec émotion de la vie et des traditions de son peuple, ce qui nous vaut quelques pages d’images africaines très réussies.

« Un voyage sans retour », récit nerveux et réaliste, où la tonalité sombre n’exclut pas les pointes d’humour, questionne, sans apporter de réponses, une jeunesse africaine oisive et déconnectée de son pays. Elle ne s’acclimate pas pour autant au pays où elle émigre, en vérité elle ne se sent « ni d’ici, ni d’ailleurs ». De manière sous-jacente, l’album élargit la perspective en s’interrogeant sur la jeunesse contemporaine, qui peut être en proie à un malaise similaire. Avec beaucoup de sensibilité, humaine et artistique, il offre un éclairage original sur des situations actuelles et invite le lecteur à la réflexion.

N.B :
Un petit dossier, à la fin de l’album, nous montre quelques-uns des croquis et photos réalisés par l’auteur lorsqu’il est retourné dans son pays, au Cameroun, pour préparer son livre.

Quelques pages de l’album (qui ne se suivent pas), pour vous donner un aperçu du travail de l’auteur :

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« Un voyage sans retour », Gaspard NJOCK
Editions nouveau monde graphic (96 p)
Paru en février 2018

Rendez-vous aujourd’hui chez Mo’ !

 

25 commentaires sur “« Un voyage sans retour », Gaspard NJOCK

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  1. Ça fait plaisir de voir cet album à l’occasion d’un partage du mercredi.
    Ça me rappelle Angoulême et toutes les rencontres qu’on y fait, les discussions qu’on peut y avoir… et les rencontres que l’on peut y faire. Je n’ai pas encore lu cet album mais pour avoir déjà pu poser mes yeux sur les illustrations de l’auteur, je sais déjà que c’est un beau voyage graphique

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  2. Ravie de voir cet album ici ! L’auteur a un talent certain et un très beau coup de crayon (en plus de fredonner parfaitement des airs d’opéra). Une belle rencontre à Angoulême, reste à découvrir enfin son album ! 😉

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  3. Et encore un à ajouter à ma liste de BD à lire… (comme je n’en achète pratiquement pas et que je ne maîtrise pas bien les classements des BD de mes biblis, ça devient un puits sans fond !) 😀

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    1. J’ai pensé à toi en le chroniquant, je me disais qu’il avait beaucoup pour te plaire.
      J’ai eu la chance de le trouver parmi les nouveautés de ma bibli … plus qu’à demander à la tienne de l’acquérir 😉 !

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