« La légende des Akakushiba », Kazuki Sakuraba

Benimidori (Japon), de l’après-guerre à nos jours
Man’yô est une jeune fille brune et de belle stature, dont l’apparence se distingue des siens : ils l’ont recueillie tout bébé, quand les nomades des montagnes l’avaient laissée (oubliée, s’imagine Man’yô) dans l’humble cité ouvrière au bord de la mer. Depuis toujours, elle est en proie à des visions qui lui laissent entrevoir, de manière plus ou moins énigmatique, de funestes événements à venir. Vivre avec elles occupe Man’yô à tel point que les leçons de l’école lui ont toujours échappé et elle ne sait ni lire et écrire. Cela n’empêche pas Tatsu, l’imposante maîtresse de la famille Akakushiba, qui règne sur les aciéries au sommet de la ville, de lui décréter, le jour où elle croise son chemin, qu’elle l’a choisie pour être plus tard l’épouse de son fils.
Ainsi en sera-t-il fait et Man’yô, bravant l’impétueux vent de Benimidori, remonte un jour les escaliers de la cité, dans tout l’éclat de ses nouvelles parures, pour rejoindre la demeure et la légende des Akakushiba.

C’est sa petite-fille qui nous raconte le destin de son étonnante aïeule et de toute la maisonnée, dont sa descendance : son fils Namida, sur lequel Man’yô, à sa naissance, garda hélas les yeux ouverts si bien qu’elle eut la terrible vision de sa mort future et sa plus que fougueuse fille, Kemari.

« La légende des Akakushiba » réussit ce qui est pour moi un exploit : conjuguer le plaisir d’écouter une histoire et celui de pénétrer au cœur d’un pays. Car à travers tout le récit, empreint grâce au personnage de Man’yô d’une touche de réalisme magique, c’est le Japon de l’après-guerre à nos jours qui est évoqué. L’essor industriel et l’espoir d’un avenir meilleur qui l’accompagne mais aussi la pollution, seront suivis des revers économiques qu’ont connus nos sociétés contemporaines, à commencer par le choc pétrolier des années 70. La petite ville de Benimidori, enveloppée des nuages de suie des hauts-fourneaux, est le théâtre des transformations qui affectent tout un pays. L’auteur nous en dépeint les attentes, les élans et les déceptions qui vont jusqu’au désenchantement, de quoi permettre au lecteur d’avoir un aperçu bien plus intime de ce Japon méconnu (j’ai notamment découvert l’existence de gangs de jeunes motardes dans les années 2000, dont je n’avais jamais entendu parler). Le roman s’achève sur le destin d’un mangaka et sur le profond mal-être des jeunes Japonais comme Tôko, qui peinent à trouver leur place dans le Japon actuel.
« La légende des Akakushiba », lui, n’a eu aucune difficulté à trouver la sienne : parmi mes (rares) coups de cœur !

« La légende des Akakushiba », Kazuki SAKURABA
Edition originale (Japon) 2006
Traduit du japonais par Jean-Louis de la Couronne
Editions Piranha (416 p)
Paru en octobre 2017

13 commentaires sur “« La légende des Akakushiba », Kazuki Sakuraba

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    1. Piranha est une petite maison d’édition née en 2014 (je viens de vérifier sur leur site). J’ai l’impression que je les connais depuis le début, je crois bien que c’est ma fille (qui travaille dans l’édition) qui avait attiré mon attention sur leurs publications.

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  1. Ravie que tu aies apprécié cette lecture et que ce roman ait trouvé son public. De mon côté, je lui reconnaissais beaucoup de qualité mais bizarrement j’étais restée à distance, sans trop pouvoir expliquer pourquoi. Peut-être la pudeur asiatique habituelle en littérature qui m’avait étonnée sur ce roman historique ?

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    1. Contrairement à toi (je viens de relire ton billet), je suis entrée tout de suite dans l’histoire, l’écriture et le ton employés m’ont séduite et je n’ai pas ressenti cette distance que tu évoques (mais je comprends très bien ce que tu veux dire, ça m’est arrivé avec d’autres livres).

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