Il aura fallu que, lors de l’édition 2014 de « Lire en poche », à Gradignan, je sois enthousiasmée par la manière dont la comédienne de La Bibliothèque des livres vivants s’était approprié « Les années » pour que je me décide enfin à lire ce livre d’Annie Ernaux … décision qui s’est concrétisée tout récemment.
Le projet de ce livre, Annie Ernaux l’a très longtemps porté en elle :
« […] l’idée lui est venue d’écrire « une sorte de destin de femme », entre 1940 et 1985, quelque chose comme Une vie de Maupassant, qui ferait ressentir le passage du temps en elle et hors d’elle, dans l’Histoire, un « roman total » qui s’achèverait dans la dépossession des êtres et des choses, parents, mari, enfants qui partent de la maison, meubles vendus. »
« Les années » verront le jour en 2008, alors que l’auteur est âgée de 68 ans. Cette « sorte d’autobiographie impersonnelle » s’étend donc sur presque sept décennies. Annie Ernaux y retrace les différentes étapes de sa vie, jalonnées par la description ponctuelle d’une photo la représentant, avec une certaine mise à distance cependant, induite par l’utilisation du « elle ». L’auteur inscrit cette histoire personnelle dans l’histoire collective, en balayant le champ social autour d’elle pour rappeler les grands événements de chaque époque et retracer l’évolution de notre quotidien (conditions matérielles, mœurs, perception des autres) au cours de toute la période.
Le panorama ainsi dressé est impressionnant. En fonction de son âge, le lecteur est susceptible d’y retrouver des fragments de choses dont il se souvient ou qu’on lui a racontées. Régulièrement, se glisse entre les pages l’évocation d’un repas de famille, rite emblématique dont l’auteur décrit les mutations successives : s’y joue ce qui marque le temps, à la fois la mémoire immédiate des événements et celle plus ancienne, mais aussi et surtout la position de chacun dans le cercle familial, avec la relation que les enfants/adolescents/jeunes gens entretiennent avec leurs aînés.
« Les années » est une œuvre à part, un tour de force littéraire.
Extraits :
(en 1949)
On vivait dans la rareté de tout. Des objets, des images, des distractions, des explications de soi et du monde, limitées au catéchisme et aux sermons de carême du père Riquet, aux dernières nouvelles de demain proférées par la grosse voix de Geneviève Tabouis, aux récits des femmes racontant leur vie et celle de leurs voisins l’après-midi autour d’un verre de café. Les enfants croyaient longtemps au Père Noël et aux bébés trouvés dans une rose ou un chou.
Les gens se déplaçaient à pied ou à bicyclette d’un mouvement régulier, les hommes les genoux écartés, le bas du pantalon resserré par des pinces, les femmes les fesses contenues dans la jupe tendue, traçant des lignes fluides dans la tranquillité des rues. Le silence était le fond des choses et le vélo mesurait la vitesse de la vie.
(avec la naissance d’internet)
La mémoire était devenue inépuisable mais la profondeur du temps – dont l’odeur et le jaunissement du papier, le cornement des pages, le soulignement d’un paragraphe par une main inconnue donnaient la sensation – avaient disparu. On était dans un présent infini.
On n’arrêtait pas de vouloir le « sauvegarder » en une frénésie de photos et de films visibles sur-le-champ. Des centaines d’images dispersées aux quatre coins des amitiés, dans un nouvel usage social, transférées et archivées dans des dossiers – qu’on ouvrait rarement – sur l’ordinateur. Ce qui comptait, c’était la prise, l’existence captée et doublée, enregistrée à mesure qu’on la vivait, des cerisiers en fleur, une chambre d’hôtel à Strasbourg, un bébé juste né. Lieux, rencontres, scènes, objets, c’était la conservation totale de la vie. Avec le numérique, on épuisait la réalité. […] La multiplication de nos traces abolissait la sensation du temps qui passe.
« Les années », Annie Ernaux
Paru en 2008
Editions Folio (254 p)
Sans vouloir tout lire d’Annie Ernaux, j’ai beaucoup aimé découvrir son style et la particularité de ce quelle écrit. C’était avec La honte, mais ça aurait pu être un autre…
J’aime beaucoup ta photo !
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Je n’avais lu que « La honte » jusque là et je n’étais pas sûre de relire l’auteur, mais « Les années » est un ouvrage vraiment particulier, qui se distingue de ce qu’elle a écrit par ailleurs dans sa manière d’embrasser largement un pays et des décennies.
Contente que tu apprécies la photo 🙂 !
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Quatre parts, ouh là, faut que je me lance…
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OUI !
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Ah qu’est-ce que j’ai aimé ce livre! Un vrai coup de coeur…
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Comme je te comprends !
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J’avais un peu mis de côté la lecture d’Annie Ernaux ; grâce « aux années », je suis repartie de plus belle 🙂
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Je ne sais pas si ce sera mon cas : j’ai l’impression d’avoir lu quelque chose comme une somme, un achèvement en quelque sorte de son projet d’écriture.
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Pourquoi ne suis-je pas attirée par cette auteure? C’est pourtant typiquement le genre de texte qui m’interesse, et celui-ci tout particulierement. Je note!
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Celui-ci est un peu atypique par rapport aux autres, parce qu’il ne se focalise pas sur un point particulier mais embrasse un champ très large et je te le recommande chaudement (moi aussi, je n’étais pas attirée par cet auteur et « La honte » ne m’avait pas donné envie plus que cela d’aller y voir plus avant ; mais « Les années », franchement, c’est quelque chose !)
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Toujours pas lu cette auteure… J’ai presque honte…
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Faut pas, Noukette ! J’ai mis trèèès longtemps à me décider à la lire …
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Moi aussi un peu honte car je n’ai rien lu de cette auteure. En tout cas celui là est noté. Bien envie de le lire !
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Je pense qu’il te plairait !
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Je l’ai adoré ce livre… comme tu dis, un tour de force littéraire
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Un livre qui ne ressemble à rien de ce que j’ai pu lire jusque là !
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J’aime bien la photo, tes swatchs sont super cools ! 🙂 Tu me rappelles qu’il faut que je lise ce titre, j’ai pour le moment juste lu « La femme gelée » d’Annie Ernaux, et beaucoup aimé.
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Je me suis bien amusée en exposant mes montres 😉 !
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J’aime beaucoup la démarche sociologique de l’auteure dans ses romans. Je n’ai pas tout lu d’elle mais je le ferai.
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C’est un auteur atypique et je pense qu’il faut avoir lu au moins une de ses œuvres.
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