« Les singuliers », Anne PERCIN

singuliersEn août 1888, le jeune peintre belge Hugo Boch décide de rallier Pont-Aven, petit village breton vers lequel convergent de nombreux artistes du moment. Il espère y faire le point sur sa propre vocation. Il a en outre apporté son matériel photographique, car la photo est un domaine qui l’intéresse de plus en plus.
Dans ses lettres à sa cousine Hazel et à son ami Tobias, Hugo raconte sa découverte de Pont-Aven, comment il y fait la connaissance de Gauguin, mais confie aussi ses propres interrogations sur son art. Comme lui, Hazel et Tobias sont peintres. Hazel étudie à Paris. Aux premières loges pour observer le milieu artistique de la capitale, elle témoigne dans ses réponses à Hugo de son effervescence, autant que de la difficulté à s’y faire une place en tant que femme. Tobias quant à lui, resté en Belgique, ne peut peindre que dans les laps de temps que lui laissent ses terribles crises de migraine. Il cherche une manière de s’exprimer qui lui soit propre et s’en ouvre à Hugo.

Portraits de trois jeunes gens, aussi passionnés que leur époque à la croisée des courants artistiques (Pointillistes, Impressionnistes, Synthétistes, Symbolistes, Naturalistes, Nabis …), où l’on s’enthousiasme ou s’indigne au vu de certaines toiles, exposées à l’occasion de salons très courus, en France ou en Belgique.

Quel bonheur que ce roman épistolaire qui vous emmène derechef à Pont-Aven et c’est comme si vous y étiez, lorsque Hugo, après avoir décrit le paysage à Hazel, poursuit :
« Comme tu vois, c’est pittoresque au vrai sens du terme : tout y fait sujet de tableau.
On croise des Bretons au teint brun, aux cheveux rouges, qui portent le costume du pays et s’adossent aux portes, les mains dans les poches, fumant leur pipe en bruyère, et font des modèles si complaisants que ce serait un crime de ne pas planter son chevalet. […] C’est bourré d’Américains et d’Anglais, à tel point que les cartes de restaurant sont écrites dans leur langue. Ils viennent ici pour finir leurs études, comme on irait à Rome pour copier l’Antique ou à Barbizon pour imiter Corot. »
Moi qui avais entendu parler de « l’école de Pont-Aven » mais sans vraiment savoir ce que cela recouvrait (avec ce drôle d’usage du terme « école », qu’on retrouve pour Barbizon, alors qu’il ne s’agit pas d’une école mais d’un courant et encore, peut-on parler d’un courant quand Gauguin n’appartient à aucun ?), j’ai beaucoup apprécié cette immersion bien plus vivante et intéressante qu’une notice encyclopédique.

Vivant est d’ailleurs le qualificatif qui convient le mieux à ce livre, où les personnalités (toutes attachantes) apparaissent clairement au fil de leurs lettres enlevées et sensibles : Hugo, avec ses doutes et sa tendance mélancolique, Tobias le tourmenté et la pétillante et spontanée Hazel (qui m’a fait rire avec son affaire de nu masculin). C’est grâce à eux que l’on peut percevoir cette fin du 19ème siècle (en dehors de la peinture, on entend aussi parler de Jack l’Eventreur, dont la sinistre réputation franchit la Manche, de la construction de la tour Eiffel et on fait même un petit tour à l’Exposition Universelle, preuve que c’était vraiment un roman pour moi !), sans que jamais cela ne vire au procédé. Nos trois jeunes gens sont les héros à part entière de leur(s) histoire(s) parfois mêlées, quand bien même l’histoire (essentiellement artistique) de leur époque voudrait parfois leur voler la vedette.

Car s’il n’écrit pas (ou alors que très occasionnellement), le personnage de Gauguin est, par exemple, bien présent dans le roman et quelle présence ! J’ignorais tout de l’homme et ce que j’en ai aperçu ici est venu éclairer l’œuvre. Qui dit Gauguin dit Van Gogh, qu’aucun des héros ne croisera mais dont il sera pourtant très souvent question. Beaucoup d’autres peintres traversent le récit, en premier lieu ceux qui sont allés à Pont-Aven mais on marchera aussi avec Toulouse-Lautrec dans les rues de Montmartre. Et pour ceux qui, comme ce fut mon cas, s’inquièteraient de ne savoir distinguer les personnages inventés des réels (faute de (re)connaître tous les noms, quand ils ne sont pas célèbres comme ceux que j’ai cités : Charles Filiger ou Paul Sérusier, par exemple, ne me disaient rien), qu’ils se rassurent : seuls nos trois épistoliers sont des êtres de fiction, tous les autres (y compris Anna Boch, présentée comme la cousine de Hugo et Hazel ou encore Miss Klumpke, dont Hazel partage l’atelier) ont bien existé.

Mêlant avec talent l’intime et l’historique, « Les singuliers » évoque les peintres d’une époque mais aussi les tumultueuses controverses que leurs œuvres pouvaient susciter, tout en questionnant le geste artistique et ce que signifie être peintre, interrogations intemporelles.
Un roman qui m’a emballée !

Marquant !« Les singuliers », Anne PERCIN
Editions du Rouergue – collection la brune (386 p)
Paru en août 2014

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38 commentaires sur “« Les singuliers », Anne PERCIN

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  1. Ah, je l’aime Anne Percin ! Mais vraiment, je ne sais pas pourquoi,j’ai un gros blocage avec le style épistolaire… 4 parts de tarte, je vais quand même tenter ma chance…

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    1. Céline, ça vaut le coup que tu essaies (en espérant que ton blocage face au style épistolaire, que personnellement j’adore, surtout quand c’est aussi merveilleusement bien maîtrisé qu’ici, ne se manifestera pas) !

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  2. Quatre parts de tarte, un livre qui se passe à Pont-Aven (un endroit splendide !) et qui parle de peintres (d’ailleurs Pont-Aven et peintres va logiquement ensemble), il faut que je le lise !

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  3. Un de mes dadas, les romans dont les personnages sont peintres, réels ou imaginaires… un autre dada, les romans épistolaires… Mais qu’est-ce que j’attends ??? D’Anne Percin, je n’ai lu que Bonheur fantôme (avec peintre inside) et si j’avais été un poil mitigée, j’avais tout de même trouvé des qualités à son roman.

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    1. Comme je le disais à Asphodèle, j’avais déjà lu d’elle « Le premier été » et j’ai encore davantage apprécié ce dernier titre. Il a de fortes chances de te plaire !

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  4. Je n’avais pas repéré qu’elle avait sorti un nouveau livre ! Je note car j’avais littéralement adoré ses précédents ! (Adultes et Jeunesse !)

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  5. Mais comme il a l’air bien ce livre, en plus sur un sujet aussi intéressant ! Je ne l’avais pas repéré. Maintenant c’est fait. En haut de la liste à lire, c’est sûr.

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  6. Il est en présentation à la Médiathèque, j’avoue qu’il me fait de l’oeil, et me croiras-tu je n’ose l’emprunter car il me semble long à lire.
    Peut-être vais-je le voir différemment et l’emprunter !

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  7. Toujours à l’équipement à ma bibliothèque préférée je l’attends avec impatience. En tant que bretonne férue d’art et de littérature je ne peux pas passer à côté !

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  8. J’ai eu le plaisir de la rencontrer récemment à la librairie Gwalarn de Lannion, la ville où j’habite. J’aime ses livres et je n’ai pas été déçue par la personne ! Il faut que j’écrive un article sur son roman que j’ai beaucoup aimé.

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