« La controverse de Valladolid », Jean-Claude CARRIERE

   1550, à Valladolid (Espagne)

  Le philosophe Sepulveda s’est vu refuser la publication en Espagne d’un livre qu’il a fait paraître en Italie : « Des justes causes de la guerre ». Il souhaite que l’Église revienne sur ce veto qu’elle a formulé et fait appel.

   Une commission de théologiens est donc convoquée à Valladolid. Présidée par le légat du pape, le cardinal Roncieri, il lui incombera de donner ou non son aval à cette publication. Le dominicain Bartolomé de Las Casas, qui a passé la majeure partie de sa vie en Amérique, représente ceux qui s’opposent aux thèses de Sepulveda, selon lesquelles la colonisation par le fer et dans le sang était juste et justifiée.

   Pour y voir plus clair, il importe de répondre à une question fondamentale, objet de la controverse : les indigènes sont-ils ou non des humains, créatures de Dieu ?

   Dans le prologue, l’auteur, historien de formation, explique très précisément comment il a utilisé des données historiques réelles pour en faire un roman, distinguant ce qui correspond à l’exacte vérité factuelle et ce qui relève de la mise en scène romancée : j’ai beaucoup apprécié ces quelques éclaircissements, grâce auxquels on situe sans ambiguïté l’œuvre dans son dessein et sa réalisation.

   Le premier chapitre présente un rappel historique permettant d’appréhender au mieux le contexte spécifique de la controverse. Y sont évoquées les différentes phases de la colonisation espagnole du Mexique et plus généralement des territoires de l’Amérique du Sud, avec comme corollaire l’anéantissement des empires aztèques et mayas (et donc des civilisations qu’on appellera ensuite précolombiennes), ainsi que toutes les questions que les contemporains se posaient au sujet de la nature de ces étranges créatures d’allure humaine peuplant ces terres lointaines.

   Le début de la controverse m’a surprise parce que Las Casas raconte les horreurs commises par les Espagnols lors de leur conquête et je ne m’attendais pas à de telles atrocités, à une telle barbarie.

   Lorsque c’est au tour de Sepulveda d’intervenir, la « dispute » proprement dite démarre. Elle est brillante, impressionnante. Chaque adversaire maîtrise parfaitement ses arguments, même si, dans l’art de la rhétorique , c’est Sepulveda qui a l’avantage car c’est un être froid et calculateur, de logique pure, alors que Las Casas parle avec son cœur, de toute sa fougue, marqué par les expériences vécues. Les arguments évoqués par Sepulveda paraissent, à nos yeux de lecteurs du XXIème siècle, infiniment datés parce qu’ils reposent sur des concepts que nous ne pouvons plus maintenant accepter (et que Las Casas n’acceptait pas non plus). Mais c’est justement l’intérêt du livre : mesurer ce que l’esprit humain, pour justifier l’inacceptable, pouvait concevoir comme argumentation spécieuse (et on a du mal à imaginer qu’il y croyait vraiment), à partir des théories d’Aristote (sur la notion de peuples par nature esclaves car inférieurs, des sous-humains en quelque sorte) et/ ou de l’interprétation alambiquée de textes sacrés, par le recours à des syllogismes retors.

   On ne s’ennuie pas une seconde, comme on pourrait le craindre en se disant qu’une joute verbale de ce type, quelle que soit sa qualité, va finir par nous lasser. En effet, la controverse proprement dite est en elle-même déjà intéressante et stimulante mais elle est aussi parfaitement maîtrisée dans sa construction et son rythme, avec notamment des épisodes de tension entre les deux protagonistes (dus en particulier à la bouillonnante personnalité de Las Casas), l’incertitude qui règne quant à son issue et donc le suspense qui en découle. Qui plus est, l’auteur y a inséré d’autres éléments de dramaturgie (introduction d’un objet puis de personnages extérieurs sujets d’expériences) propres à retenir l’attention du lecteur, car ils contribuent à mettre en scène la controverse comme une pièce de théâtre. Pris dans cette mécanique de précision, dont il ne peut qu’apprécier l’intelligence, le lecteur se laisse emporter jusqu’au dénouement, à double détente, qui ne manquera pas de le surprendre.

   Un petit livre passionné et passionnant.

N.B : Il ne me reste plus qu’à guetter une rediffusion de l’adaptation télévisée (1) qui en a été faite (que je n’ai jamais vue), avec le superbe Jean-Pierre Marielle dans le rôle de Las Casas, Jean-Louis Trintignant dans celui de Sepulveda et Jean Carmet dans celui du légat du pape (excusez du peu !), que j’imagine tous les trois parfaits dans leurs rôles respectifs!

(1) Renseignements pris (après le commentaire de Leiloona), apparemment, il y a d’abord eu le téléfilm, sur un scénario de Jean-Claude Carrière, puis le livre et quelques années plus tard l’adaptation sous forme d’une pièce de théâtre.

« La controverse de Valladolid« , Jean-Claude Carrière

collection Pockett (253 p)

(réédition d’un article paru le 1/05/2009)

9 commentaires sur “« La controverse de Valladolid », Jean-Claude CARRIERE

Ajouter un commentaire

  1. En même temps, la prestation des acteurs n’est pas évidente car le texte est exigeant, donc tu n’as raté quelque chose que s’ils étaient à la hauteur.

    J’aime

  2. Voilà un livre de Jean-Claude Carrière que je veux lire depuis très longtemps … J’avais vu l’adaptation télé de cet ouvrage (ou l’inverse) et cela m’avait vraiment beaucoup plu. Je pense que les acteurs y étaient pour quelque chose ! Mais il me semble que « La controverse de Valladolid » est sorti en DVD.

    J’aime

    1. Je suis patiente, donc j’attends qu’il repasse à la télé !
      Et pour toi qui a vu le film, je pense que le livre, qui en est l’exact reflet, ne t’apportera rien de vraiment significatif, mais tu auras le plaisir d’y retrouver les dialogues que tu avais aimés (je dis cela parce que ma fille a étudié l’oeuvre en cours et s’est ennuyée en voyant ensuite le DVD, parce que c’était la copie conforme de ce qu’elle avait lu (mais, de mon côté, cela me plairait de voir le texte prendre corps au travers de ses interprètes)).

      J’aime

    1. Bonjour Mel. Je ne pourrai malheureusement pas t’aider car entre temps j’ai eu l’occasion, effectivement, de voir le film … sauf que je n’en ai pas vu plus de dix minutes, j’ai arrêté car je m’y ennuyais : il faut croire que ce n’était pas le bon moment, donc je n’ai pas insisté.

      J’aime

Un commentaire ? N'hésitez pas !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

Un Site WordPress.com.

Retour en haut ↑