« La Mascotte », Mark KURZEM

Mark Kurzem, historien australien, raconte dans ce livre l’histoire de son père, telle qu’il l’a découverte alors qu’il était déjà adulte.

Alors qu’il fait ses études à Oxford, il a la surprise, un beau jour, de voir son père arriver sans prévenir d’Australie. Pour tout bagage, il dispose d’une « petite valise marron cabossée ».

« Il [mon père] s’était toujours montré protecteur envers cette mallette – la règle tacite qui prévalait était que personne à part lui n’était autorisé à y poser la main. Il l’emportait partout où il allait, la tenant si serrée sous son bras qu’elle devait s’être greffée à sa cage thoracique.

Elle contenant tout ce que mon père avait ramené d’Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale : des maigres souvenirs de son enfance en Russie et en Lettonie.

Aussi loin que je m’en souvienne, la petite valise avait figuré en bonne place dans notre vie de famille. Même si nous savions qu’elle contenait des photographies, des documents et autres réminiscences de son passé, aucun d’entre nous n’avait jamais été autorisé à regarder à l’intérieur. »

Le père a raconté à ses enfants qu’âgé de cinq ou six ans, suite à un traumatisme dont il n’a plus souvenir, il s’est retrouvé à errer pendant des semaines seul dans la forêt russe, loin de ses parents, des bergers vraisemblablement. Il a été recueilli par des soldats lettons puis adopté par une famille lettone car il n’avait aucun souvenir de son nom et de son village d’origine, et cette famille a plus tard émigré avec lui en Australie.

Pourquoi vient-il voir son fils à Oxford ?

Les bribes de réponse ne viennent que peu à peu.

Deux mots surgissent, tout d’abord, qu’il n’avait jamais révélés à personne : « Panok et Koidanov », deux mots exhumés d’une vie d’avant son passage dans la forêt. Deux mots à partir desquels il demande à son fils de découvrir quelle est son identité.

Puis il sort de sa mallette une photo plus que surprenante :

« J’y vis un petit garçon, âgé de six ou sept ans, pas plus, habillé d’un uniforme militaire qui devait avoir été fait sur mesure pour lui. Il posait fièrement au pied d’un arbre de Noël joliment décoré.

Mon regard se porta sur l’uniforme, et, pendant un moment, je retins mon souffle. Sur ses revers et sur les manches de la veste à col montant se trouvait l’insigne en forme d’éclair qui permettait d’identifier les SS. Le petit garçon était une version miniature de la caricature du nazi, telle qu’on la représente dans les films de guerre. Et il s’agissait de mon père. »

Le fils assiste alors à l’émergence progressive d’un passé totalement hors du commun. Un petit garçon juif de cinq ans échappe de justesse au massacre de sa famille, erre pendant des mois dans les bois où il survit jusqu’à ce qu’il soit recueilli par des soldats lettons. Ce petit garçon a oublié son nom. Il est donc rebaptisé. Il apprend le letton et se met au service des soldats qui l’ont sauvé, dont il devient la mascotte, pourvue d’un uniforme à sa taille. C’est aussi un petit garçon auquel le sergent Kulis, qui lui a sauvé la vie, a fait comprendre que si sa judaïté était découverte, il mourrait…

« Ce livre se lit comme un thriller » (et ce que je vous en ai dit ne correspond qu’aux 80 premières pages, sur 438 au total), m’a dit ma sœur, bibliothécaire de son état (mais pas dans la ville où j’habite, malheureusement !), lorsqu’elle m’a chaudement recommandé la lecture de ce témoignage, usant d’un argument dont elle savait, connaissant le genre de lectures que j’apprécie (celles où-le-fil-narratif-est-suffisamment-tendu-pour-retenir-mon-attention !), qu’il serait efficace

Et elle avait raison ! Cette biographie reconstituée par retours en arrière successifs, douloureuse remontée vers un passé nié, renié, se lit effectivement comme un thriller (d’ailleurs, je ne saurais trop vous recommander de ne pas faire comme moi et d’éviter d’aller regarder toutes les photos insérées au milieu du livre, sous peine de déflorer un peu l’histoire !) : quel fut le passé réel du père, peut-on ou non retrouver son identité, que signifient « Panok » et « Kodianov » ?

Le père du narrateur s’est décidé à parler, mais cette parole, avant d’être délivrance, est souffrance. Revivre une enfance aussi incroyable et, surtout, aussi cruelle représente un processus terrible de mise au jour de ce qui avait été volontairement occulté pour d’abord survivre puis vivre tout court, se marier, fonder une famille…

Et que dire, justement, de cette famille, en premier lieu le fils aîné, qui découvre soudain un passé si savamment travesti ? Avant de compatir, le narrateur se sent trahi, parce que son père lui avait caché tout cela. Et l’épouse apprend que l’homme qu’elle côtoyait depuis tant d’années lui était dans un sens étranger.

Deux dimensions dans ce témoignage, donc.

L’histoire, en premier lieu. Incroyable et prenante. Avec, notamment, ces moments particuliers dont le père se souvient, ces moments où tout aurait pu basculer, où le cours de son destin aurait pu changer, s’il avait suivi telle ou telle personne qu’il a croisée… Et puis, dans la foulée, l’enquête sur le terrain pour corroborer ou non les souvenirs et, qui sait, retrouver la véritable identité du père.

La seconde dimension de ce témoignage réside dans la psychologie des principaux protagonistes. Le père, qui s’est soudain décidé à se livrer, ne sait que faire de sa judaïté, s’interroge sur son éventuelle culpabilité et, tourmenté, fait preuve d’un courage remarquable en poursuivant ce chemin qu’il a décidé d’emprunter, quelles que soient les embûches.

Quant au fils, malgré le choc, malgré l’impression, partagée avec son père, de nager parfois au milieu des décombres de son propre passé, lui aussi avance, soutenant son père jusqu’au bout, armé de persévérance et d’amour filial.

Un témoignage passionnant, relaté avec brio… et qui se lit comme un roman !

« La Mascotte », Mark KURZEM

Les Editions Noir sur Blanc (438 p )

(réédition d’un article paru le 10/01/2009)

7 commentaires sur “« La Mascotte », Mark KURZEM

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  1. Dans les années 60 les Américains tenaient encore garnison en France. Fontainebleau était alors une de leur base importante. Les officiers louaient les villa des environs. Mes parents avaient une maison à M. et j’y ai vu un enfant de cet âge environ cinq ans en tenue de combat, taillé sur mesure, donc ce n’est pas une exception allemande….

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